samedi 31 janvier 2009

Les artisans illustres (de la reliure) en 1841.


Désolé pour le retard dans la publication de ce jour (pour les plus accrocs des flacons de méthadone sont à disposition au coin de la rue...)

Message court. Évocation de relieurs du milieu du XIXe siècle.

C'est dans l'ouvrage : "Les artisans illustres, par Edouard Foucaud, sous la direction de Messieurs le Baron Ch. Dupin et Blanqui ainé. Paris, Béthune et Plon et Gaudin, libraire, 1841" Volume in-8 fort sympathique qui s'intéresse de près, à travers les siècles, aux humbles, aux ouvriers, aux artisans, bref, un livre passionnant qui mériterait d'être lu ou relu par nos brillantes élites (euh... il y a pléonasme là non?).

Cet ouvrage est de plus fort bien imprimé et décoré à chaque page d'un joli encadrement gravé sur bois.


Voici ce qu'on peut lire aux pages 613 à 617 :

" (...) Tandis que les presses françaises produisent des ouvrages qui font honneur à nos premiers typographes, la reliure fait aussi d'heureux efforts pour atteindre la perfection. Les Simier et les Thouvenin ont été longtemps à la tête de cette industrie. Maintenant de nouveaux artistes méritent d'être associés à cet honneur. H en est un surtout qui, au jugement de tous ses confrères, se montre supérieur dans toutes les parties de son art. Toutes les reliures qui sortent des mains de M. Bauzonnet sont vraiment admirables, et n'ont rien à craindre de la critique des connaisseurs les plus difficiles.

M. Koehler, qui a obtenu aux expositions dernières des médailles d'argent, est le chef d'un établissement dans lequel s'exécutent de fort belles reliures. Ces reliures se font surtout remarquer pour la précision et le talent avec lesquels sont appliqués des ornements désignés sous le nom de petits fers, ornements qui sont rapportés à la main pour former un dessin complet avec une infinité de parties séparées; c'est un vrai mérite d'artiste. C'est ce qui fait dire au rapporteur du jury central de 1834 : « Les reliures de M. Kœhler sont au rang des plus belles que l'on connaisse en Europe ; il n'existe pas dix volumes qui puissent disputer le 1er prix aux quatre Évangiles dont la couverture est ornée par son art. »

M. Boutigny se recommande par une spécialité qu'il a introduite dans la reliure française. C'est lui qui a naturalisé le kepseake en France. Il était déjà connu comme habile relieur depuis 1832, lorsqu'il conçut l'idée de prouver que l'on pouvait avec succès entrer en concurrence avec les relieurs anglais, pour l'exécution des kepseakes. On sait que l'on donne ce nom à une reliure d'un genre tout particulier, qui consiste en un emboîtage fait avec beaucoup d'art. M. Boutigny, à force de travail, est parvenu à réaliser ce que, jusqu'à lui, on avait cru impossible. Grâce à son talent et aux procédés qu'il emploie, aujourd'hui son emboîtage est infiniment supérieur à celui des relieurs anglais, et il a pu établir ses keepsakes à des prix très- minimes comparativement aux leurs. Par cette heureuse innovation, M. Boutigny a rendu un très-grand service à la librairie. Son établissement est le seul dans Paris qui soit monté de manière à entreprendre et exécuter de grandes commandes de kepseakes. C'est de là que sortent, à l'époque des étrennes, tous ces beaux et riches volumes ornés d'illustrations qui figurent avec tant d'avantage sur les étalages des magasins à la mode. Nous citerons pour exemple le bel ouvrage intitulé : Paris-Londres. Kepseake français.

M. Boutigny réunit à celte spécialité, qui a fait sa réputation, tous les autres genres de reliure, qu'il exécute aussi d'une manière qui témoigne de son talent.

M. Germain-Simier se montre digne du nom qu'il porte. Son établissement s'est acquis une réputation méritée par l'activité de ses ateliers et la belle exécution de ses reliures. L'ensemble de son matériel en l'ers, instruments et matrices d'une régularité parfaite et du meilleur goût, lui permet de varier ses reliures à l'infini, depuis les demi-reliures simples jusqu'à ces riches reliures que demande le luxe opulent, et qui donnent tant de prix aux présents que se font entre eux les grands personnages.

En 1836, M. Germain-Simier a envoyé quelques-uns de ses plus beaux ouvrages à l'exposition du Mans, sa ville natale. On lit dans le rapport général sur cette exposition : « C'est bien à propos d'œuvres semblables qu'il faut parler d'art et non de métier. La richesse de ces dessins, la pureté de ces formes, l'éclat de ces couleurs et de ces dorures, font de la reliure, ainsi traitée, un art qui, grâce aux efforts des Thouvenin et des Simier père, ne le cède à aucun autre, pour l'imagination, la poésie et le goût. M. Germain- Simier marche avec avantage sur les traces de ces noms célèbres. Cinq reliures principales flgurent sous son nom. Parmi ces cinq reliures se trouvait un album, grand in-4°, colombier anglais, maroquin-Corinthe, et charnières en maroquin ; les deux plats étaient ornés d'une plaque à petits fers dans le style moyen-âge; des pointillés en or, de diverses couleurs, ornaient les réserves; et les contre- gardes, entièrement en maroquin , avaient pour ornements deux oiseaux faits à petits fers. « Ce dernier genre de dorure, est-il dit dans le rapport, est tout-à-fait nouveau. On se contentait jusqu'ici d'appliquer sur le maroquin des dessins ornementaux; c'est un grand mérite d'invention pour M. Germain-Simier d'avoir eu l'idée d'y ajouter des oiseaux, et surtout de les avoir exécutés avec une pareille habileté. C'est d'un lini et d'une délicatesse qui surprend, lorsqu'on pense que l'artiste n'a en main qu'un fer chaud au lieu d'un crayon. Les ornements des deux plats sont du luxe le plus distingué; ces pointillés de diverses couleurs leur donnent un grand éclat. La dorure des feuilles est si brillante qu'elle ressemble à une plaque d'or. » M. Germain-Simier avait aussi exposé, et c'était son ouvrage capital, le Missale Cenomanense, volume grand in-folio, sur lequel il avait prodigué toute la richesse et l'élégance de la reliure moderne. En résumé, les ouvrages de cet habile relieur, non-seulement se distinguent par leur richesse, leur bon goût, leur nouveauté, mais encore se recommandent par leur solidité, et parle talent avec lequel les dos sont brisés et cependant maintenus. (...)

Je vous laisse sur ces belles paroles ou ces belles écritures pour être plus juste, qui se trouvent dans une hardie épître "aux ouvriers", placée en tête de l'ouvrage :

"Dans le métier, il existe deux sortes d'illustrations généralement mal appréciées : L'une consiste dans le travail d'un homme riche; ou hautement placé dans la société ; c'est à dire lorsque cet homme, soit par caprice, soit par désoeuvrement, a consenti à passer quelques courts instants de sa vie à un exercice manuel. (...) L'autre consiste dans un travail de chaque jour, de chaque heure, de chaque minute. L'homme qui se livre à ce travail ne porte pas de gants ; ses mains sont calleuses ; son visage est fatigué. Ne cherchez dans son intérieur aucune trace de luxe ; les murs sont nus ; les fenêtres ne sont pas tendues de soie. Maintenant, dites-moi quelle est la véritable illustration du métier ? Croyez-moi, l'illustration du métier ne consiste pas dans le travail capricieux des mains blanches et parfumées du noble et du riche ; elle se trouve toute entière dans le travail continu des mains épaisses et durcies de l'artisan et du pauvre. (...)"

Au delà d'un très joli et intéressant ouvrage, cet ouvrage est un véritable éloge du prolétariat, et ce en 1841. Un deuxième volume devait paraître... il ne parut jamais (cf. Brivois).

Bonne soirée,
Bertrand

vendredi 30 janvier 2009

Fiche libraire : Statuta delphinatus ou les Statuts du Dauphiné, Grenoble, vers 1508.


Fiche libraire. Extraite du catalogue de la L. à Paris, en 1978. Hasard de mes lectures biblio-bibliophiles, je tombe sur cette notice, qui, j'en suis certain, fera plaisir à au moins un des lecteurs du Bibliomane moderne, adepte des curiosités dauphinoises.


Voici donc cette fiche en détail telle qu'elle est présentée.

Vous pouvez également cliquer sur l'image de la fiche pour la lire telle qu'elle a été publiée. Je la donne en clair pour les amateurs qui ne seraient pas familiarisés avec les abréviations et autres raccourcis utilisés par les libraires.



STATUTA DELPHINATUS. Libertates per illustrissimos principes delphinos viennenses delphinalibus subditis concesse statutaque et decreta ab eisdem princibus necnon magnificis delphinatus praesidibus quos gubernatores dicunt et excelsum delphinalem senatu edita... Le volume aurait été imprimé à Grenoble "Franciscum Pichatum et Batholomeum Bertoletum", vers 1508 (édition sans date).

L'ouvrage se présente sous la forme de 3 parties reliées en 1 volume de format in-quarto.

mprimé en caractères gothiques à 2 colonnes de 45 lignes par page. L'exemplaire proposé était relié en veau brun avec dos orné et tranches rouges (reliure du XVIIe siècle).


Voici la collation annoncée : 4 feuillets préliminaires non chiffrés, 87 feuillets chiffrés et 1 feuillet blanc, suivent 37 feuillets chiffrés et 2 feuillets non chiffrés signés A, qui donnent la lettre de Louis XII sur l'adjonction du comté d'Asti à la juridiction du parlement de Grenoble.

Il est écrit sur cet ouvrage : "Recueil extrêmement rare des Statuts du Dauphiné, les trois parties qui le composent (la première et la troisième en latin, la seconde en français), portent des dates différentes, d'après Brunet, Manuel du libraire etc, tome II, col. 1812, la dernière pièce étant datée du 4 mars 1508, l'ouvrage aurait très probablement paru dans le courant de la même année.

Deschamps dans son Dictionnaire de Géographie cite une longue note de M. Gariel, conservateur de la bibliothèque de Grenoble, disant : "Ce volume se compose de trois parties que je crois imprimées aux trois dates de 1489, 1501 et 1508, ces trois dates correspondant à celles des actes les plus récents de chacune des trois parties." Le titre imprimé en rouge et noir porte les armes du Dauphin soutenues par des anges. Voir reproduction.


Concernant la condition de l'exemplaire : Exemplaire bien conservé, à l'exception de quelques moisissures, de cet ouvrage rare et précieux comptant parmi les premières productions sorties des presses de Grenoble."


Le prix ? Cet ouvrage est annoncé au prix de 17.500 francs (1978). A titre de comparaison, on trouve dans le même catalogue un exemplaire des Fables de La Fontaine au format in-12, 1668, Barbin et Denys Thierry, 2 volumes, en reliure de veau blond de l'époque, édition originale in-12 presque aussi rare que l'in-4, proposées à 15.000 francs. On trouve également un exemplaire de l'édition des Contes de La Fontaine, édition dite des Fermiers généraux, 1762, 2 volumes in-8, veau écaille, en reliure ancienne, exemplaire en bel état, proposé au même prix de 15.000 francs (1978).

Je croyais bien de ne pouvoir retrouver ce rarissime ouvrage... et pourtant....

Un exemplaire (est-ce le même ?? je pense que oui) a été adjugé le vendredi 17 juin 2005 pour 3.700 euros sur un prix de départ de 3.000 euros. Voici son descriptif :

GUIDO (Pape). [Statuta Delphinatus]. Libertates per illustrissimos principes delphinos viennenses delphinalibus subditis concesse statutaq[ue] & decreta... Grenoble, François Pichat et Barthélemy Bertolet, [vers 1508]. 3 parties en un volume in-4, basane fauve, dos muet (Reliure du XVIIème siècle). Rare et précieuse édition gothique grenobloise des statuts du Dauphiné, de Guido Pape. Pierre Deschamps, se fondant sur les observations de M. Gariel, historien de la typographie grenobloise, explique longuement comment les trois parties pourraient avoir été imprimées en 1489, 1501 et 1508, l'ouvrage se trouvant être alors le quatrième en date des livres imprimés à Grenoble (Dictionnaire de géographie, col. 585-586). Les titres courants portent tout au long Statuta delphinatus. De la bibliothèque Royer des Granges, (ex-libris en taille-douce du XVIIIème siècle). Quelques inscriptions et petites taches sur le titre et à plusieurs feuillets mais état très satisfaisant dans l'ensemble.

Je pense, sans preuves positives qu'il s'agit du même exemplaire (les taches = moisissures ?). 17.500 francs en 1978 ferait environ 8.500 euros en 2008 (indice INSEE pour 1978 : 0,48758). L'ouvrage adjugé en 2005 à 3.700 euros a semble-t-il été bien acheté.

Je n'ai pas d'autres adjudications pour cet ouvrage. Peut-être l'un d'entre vous l'a-t-il déjà croisé sur sa route de bibliophile. Qu'il en disserte alors avec nous sans retenue !

Bonne journée,

Bertrand

jeudi 29 janvier 2009

Catherine de Médicis, femme bibliophile (1519-1589)


Je continue mes billets dans la série les Femmes bibliophiles, avec un article extrait de l'ouvrage "Quelques femmes bibliophiles", par Jean Gay, imprimé à Turin en 1875 à 50 exemplaires par Vincent Bona, et j'ai sous les yeux l'exemplaire n°34.... mais, il ne m'appartient pas, et en plus il n'est pas vraiment réel ; on le déniche sur Google Books au format électronique PDF.


Autant vous l'avouer tout de suite, avant que vous ne l'appreniez par quelqu'un d'autre, ce livre est d'une insigne rareté, c'est le plus rare de la firme Gay et Doucé, dont je cherche ardemment les productions.

Catherine de Médicis, fille unique et héritière de Laurent de Médicis, duc d'Urbin, est née à Florence en 1519. Elle épousa le dauphin de France (depuis Henri II), et devint régente du royaume à la mort de son mari.

Portrait de Catherine de Médicis par François Clouet
(XVIe siècle, Musée Carnavalet)




Cette princesse, d'un esprit supérieur, conserva, étant en France, le goût des arts et des lettres ; c'est par ses ordres que furent construits les palais du Louvre, des Tuileries et de Monceau ; elle laissa quelques écrits estimés. La famille des Médicis comprend plusieurs célèbres bibliophiles et femmes lettrés, entre autres Lucretia.

Lors de son mariage, en 1533, elle apporta en dot à Henri II, qui fut aussi un véritable bibliophile, les manuscrits de la célèbre bibliothèque de Laurent de Médicis ; la plupart de ces livres étaient reliés en maroquin, chose remarquable pour le temps. Laurent avait formé une très riche collection de livres et d'objets d'art. Des savants avaient étés envoyés par lui dans tous les pays recueillir les manuscrits précieux. Charles VIII traversait l'Italie à la tête d'une armée nombreuse, dans le but de conquérir le royaume de Naples ; il pénétra dans Florence, pilla, saccagea la ville et entre autres la riche bibliothèque de Laurent de Médicis. Catherine devenue reine de France, fit rechercher les ouvrages dispersés et les fit venir à Paris, où ils forment aujourd'hui la partie la plus précieuse de l'ancien fond de la bibliothèque du roi (Bibliothèque Nationale).

Parmi les collectionneurs en renom au temps de Léon X, on cite un neveu de ce pape, le cardinal Ridolphi ou Ridulphus. Ridolphi était Médicis, et cette famille était déjà très renommée à Florence et à Rome pour les riches bibliothèques que possédaient plusieurs de ses membres. Comme ses parents, ce prélat s'appliqua à enrichir sa bibliothèque. Cette collection fut acquise à la mort du cardinal, par le maréchal Strozzi. Celui-ci, passé au service de France, apporta avec lui, à Paris, sa bibliothèque. Après sa mort Catherine s'en empara, sous prétexte que Strozzi, étant un Médicis, cela ne sortait pas de la famille.


(Reliure épigraphique offerte par Catherine de Médicis à la bibliothèque de Fontainebleau, le 1er mars 1561 sur Pierre Paschal-Henrici II Galliarum regis Elogium. Eiusdum Henrici Tumulus. Paris, Michel de Vascosan, 1560 - Source : des livres rares depuis l'invention de l'imprimerie)


(Exemplaire de dédicace à Catherine de Médicis dans une exceptionnelle reliure décorée (1558)
sur Jacques Bassantin-Astronomique discours. Lyon, Jean de Tournes, 1557, in-folio - source : des livres rares depuis l'invention de l'imprimerie)


Les livres que Catherine possédait à Chenonceau étaient placés sous la garde de Jean-Baptiste Benciveni, abbé de Bellebranche. A la mort de la reine ses livres coururent le risque d'être saisis par ses créanciers. Benciveni les sauva en les gardant chez lui. De Thou, garde des livres du roi, obtint, le 14 juin 1594, des lettres patentes pour qu'ils fussent réunis à la couronne ; on enleva alors
aux livres et aux manuscrits provenant de la bibliothèque de Catherine leur ancienne reliure pour les habiller à la livrée royale. Lorsque la bibliothèque de Catherine fut réunie à celle du roi, elle comprenait 800 manuscrits très-précieux.

Avant l'incendie de la bibliothèque du Louvre, on remarquait, n° 2685 de l'inventaire, un précieux spécimen de reliure, placé sur un exemplaire de la première édition des Mémoires de Martin du Bellay (1569), provenant de la collection de Catherine. C'était un in-folio couvert de maroquin brun, à petits fers, au chiffre et monogramme. La devise de la reine, toute à la douleur de son veuvage, s'y faisait voir sur la figure délicatement peinte d'une montagne de chaux vive qu'une pluie de larmes arrose, et au-dessus de laquelle flotte une banderole avec devise.


(Ficinus (M.), Marsilo ficino sophra lo amore O ver' convito di platone. in Firenze, per Neri Dortelata, 1544, petit in-8, réglé, maroquin noir, compartiment en argent sur un des plats, en or sur l'autre plat, tranches ciselée, reliure ancienne. Exemplaire aux armes de Henri II, alors qu'il était encore dauphin et duc de Bretagne, et de Catherine de Médicis. Sur le second plat est dorée, la roue de St. Catherine, emblème adopté par la femme de Henri II. Des bibliothèques de Guyot de Villeneuve et de L. de Montgermont) Lot 91, première partie de la vente Rahir, vendu 57.000 francs de 1930 (22.800 euros environ en francs/euros constants).


(Maroquin citron, bandes d'entrelacs en argent autour des plats, au centre et parmi les entrelacs, semis de chiffres, couronnes en or et en argent et de fleurs de lis, tranches dorées, reliure ancienne sur Xénophon-La cyropédie de Xénophon, et de la vie et institucion de Cyrus Roy des Perses. Traduite du grec par Jacques des comtes de Vintimille Rhodien. Lion [sic], Jean de Tournes, 1555, in-4 réglé. Exemplaire aux armes et chiffres de la Reine Catherine de Médicis. C'est un des plus remarquables spécimens de l'art de la reliure à l'époque de la Renaissance française. Des bibliothèques Hayford-Thorold, Guyot de Villeneuve et L. de Montgermont. Lot 250, première partie de la vente Rahir, vendu 322.000 francs de 1930 (128.8000 euros environ en francs/euros constants).

L'on sait que Catherine variait souvent son chiffre. L'on rencontre parfois, mais rarement, des volumes provenant de la bibliothèque de cette princesse, et ils atteignent dans les ventes des prix fort élevés.

Source pour la conversion monétaire :
http://www.histoire-genealogie.com/article.php3?id_article=398


Pour évocation conforme…

Bonne journée,
Xavier

mercredi 28 janvier 2009

Reliures estampées à froid du XVIe siècle et technique du frottis (suite).


Voici deux nouveaux frottis réalisés par l'ami Éric, fidèle lecteur du Bibliomane moderne. Il s'agit des deux plats d'une reliure en peau de truie sur ais de bois, les plats estampés à froid. La reliure recouvre un corpus juris de 1598. Le volume est de format in-8. Éric pense qu'il s'agit d'une reliure bâloise.

Ornée d’un très riche encadrement estampé avec le portrait d’un homme en armure et épée dans un cadre historié, avec sur le second plat probablement ses armes.

Je vous laisse en compagnie des frottis.


Frottis du plat recto



Frottis du plat verso



Si comme Éric vous voulez nous envoyer vos frottis de belles reliures XVe ou XVIe siècle, n'hésitez pas à nous les envoyer à bertrand.bibliomane@gmail.com

Note : Par ailleurs une question persiste, on sait que ce type de reliure (notamment en Allemagne et en Suisse) a continué à être exécuté jusqu'au XVIIIe siècle. On sait aussi que les premiers modèles datent des début de l'imprimerie (vers 1460), alors comment faire pour distinguer avec certitude une reliure allemande ou bâloise exécutée vers 1480 d'une même reliure exécutée vers 1560 ou plus récemment encore vers 1650 ? Etude des roulettes ? Connaissance des ateliers ? Si quelqu'un a une idée ? Car j'ai trouvé dans de beaux catalogues de livres rares en vente à prix marqués de ces reliures qui sont tantôt marquées "de l'époque" (en étant vers 1480) et tantôt "du XVIè siècle" (en étant sur des livres imprimés entre 1540 et 1580) et tantôt encore "reliure ancienne" .... il y a quelque chose qui me gène dans ce flou artistique entretenu pourtant par des libraires qu'on ne pourra pourtant pas taxer d'incompétence vu le beau logo de quatre lettres qu'ils arborent sur leurs catalogues.

Addenda. Merci à Raphaël pour ce rappel insolent (rire) à la haute technologie moderne... c'est vrai que j'avais oublié qu'un bon vieil appareil numérique ferait sans doute mieux l'affaire que mon vieux crayon de bois... mais j'avoue un penchant pour ces petites techniques d'outre-tombe qui sont, aussi, tout l'univers du bibliophile qui regarde derrière lui aussi bien que devant.

Voici donc, illico presto, les photographies HD des plats recto et verso de la reliure (bâloise?) in-folio présentée en frottis hier. Je ne sais pas si cela est mieux, plus lisible, plus efficace, ou tout simplement plus réaliste (on voit vraiment ce à quoi elle ressemble vraiment).


Plat recto de la reliure in-folio, bâloise ? (vers 1550?)



Plat verso de la reliure in-folio, bâloise ? (vers 1550?)

Cliquez sur les photos pour agrandir


Bonne journée,
Bertrand

mardi 27 janvier 2009

Reliures estampées à froid du XVIe siècle et technique du frottis.


Travaux pratiques. Hier j'ai été amené à pratiquer la technique dite du "frottis" pour mettre en lumière le décor des plats d'une reliure du XVIe siècle, ais de bois recouverts de peau de truie estampée à froid. Les plats sont décorés à la roulette de décors de fleurons et portraits bibliques légendés, glands, fleur aldine, filets.

Pour tout dire, j'adore ce type de reliure qu'on a l'habitude de donner à des ateliers du sud de l'Allemagne ou centrés sur la région bâloise. Mon idée était d'obtenir une cartographie suffisamment précise de ces plats afin de pouvoir les comparer à d'autres modèles par ailleurs identifiés.

J'en profite pour vous indiquer deux sites internet fort utiles dans ce domaine et que je vais ajouter de ce pas dans les favoris du Bibliomane moderne.

Le premier est en français et réalisé par la Bibliothèque Sainte Geneviève. Il est intitulé "Reliures estampées a froid de la Bibliothèque Sainte-Geneviève (12e -18e siecles)". C'est une étude assez complète des reliures estampées de plusieurs régions d'Europe, notamment pour le XVIe siècle qui nous intéresse ici. Il fonctionne sous forme de base de donnée que vous pouvez interroger. Je vous invite à essayer.

Le deuxième site est malheureusement pour le piètre germaniste que je suis, rédigé dans la langue de Goethe... mais c'est une véritable mine d'informations, également sous forme de base de données, avec la possibilité de recherches multi-critères très poussées. Intitulé "Einbanddatenbank", il rendra de grands services aux chercheurs et amateurs qui s'intéressent aux reliures estampées du XVe et XVIe siècle.

Voici les frottis que j'ai réalisé hier soir pour chaque plat de la reliure (format in-folio, environ 30 x 22 cm).

frottis du plat recto (taille réelle du frottis 27,5 x 18,5 cm)



frottis du plat verso (taille réelle du frottis 27,5 x 18,5 cm)


Je n'ai pas réussi à trouver un atelier précis qui aurait exécuté cette reliure, pourtant je me suis rapidement convaincu en faisant les comparaisons nécessaires, que cette reliure sortait probablement d'un atelier bâlois (les reliures sorties de la ville de Bâle sont assez caractéristiques par leur décor et leur "faire").

Précision : on trouve plusieurs fois répétées sur une figure de la roulette historiée de personnages bibliques les lettres H et K en assez petits caractères, mais bien visibles. Je n'ai pas trouvé de correspondance pour ces lettres H et K comme signature de la reliure.


Détail du décor avec les lettres H et K surlignées en rouge



Peut-être quelqu'un parmi vous sera plus chanceux que moi pour trouver un modèle de reliure similaire par le décor. Il sera alors sympathique de publier les photographies de vos reliures ou de celles que vous aurez trouvées qui sont proches de celle-ci. Vous pouvez m'envoyer vos photos à bertrand.bibliomane@gmail.com

J'oubliais de préciser que la reliure recouvre une édition de Bâle de la fin du XVè siècle.

Bonne journée,
Bertrand

lundi 26 janvier 2009

Louis-Sébastien Mercier (1740-1814), un patriote anti-bibliophile.




Peut-on être bon citoyen, fidèle à son pays, bon patriote et anti-bibliophile ?

A cette étrange interrogation, Louis-Sébastien Mercier, l'immortel "livrier" comme il aimait à se dire lui-même, l'inimitable auteur du Tableau de Paris et de l'An 2440, rêve s'il en fût jamais, répond pour nous.

On sait que les amateurs outrés des livres peuvent en devenir les pires des vandales. Les voleurs de livres, les estropieurs de livres, les écorcheurs de reliures, et autres assassins des arts et des lettres existent bien. Mais ceux-ci agissent par folie d'amour. Ils n'en sont pas excusables pour autant mais on peut comprendre à défaut d'admettre.

Mais il existe les vandales frigides, les inamoureux du papier et des reliures, les insensibles de l'objet-livre, bref, les Louis-Sébastien Mercier.

Voici ce qu'on peut rapporter sur cet écrivassier insensible aux charmes bouquiniers.

Louis-Sébastien Mercier, sous la Révolution, allait jusqu'à se plaindre en haut lieu "des gros almanachs royaux reliés en maroquin rouge, avec de l'or antipatriotique sur tous les bouts."

Ennemi acharné de la reliure, il n'aimait que les livres brochés, et l'on racontait que s'il lui arrivait d'acquérir, par hasard et à son grand regret, un ouvrage relié, son premier geste, en arrivant dans son cabinet de travail, était de casser la reliure, aussi belle qu'elle fût, pour en faire ensuite une brochure recouverte de vulgaire papier à chandelle.

Il appelait cela lui "casser le dos"... Un acte franchement révolutionnaire sans doute ?! Lorsque la main est guidée par trop de passion... elle peut produite le pire.

Voici d'ailleurs une épigramme lancée contre lui à l'époque à ce sujet :

Mercier, en déclamant contre la reliure,
Pour sa peau craindrait-il un jour?
Que ce grand homme se rassure,
On n'en peut faire qu'un tambour. (1)

C'était dire la vérité en riant. Du moins, Mercier ne cherchait que le bruit en se singularisant par ses écrits, ses actions et ses discours. Il avouait avec franchise qu'il se trompait souvent ; "mais ajoutait-il, il faut bien secouer l'arbre aux idées." Et sur ce dernier point on ne peut que lui donner raison.

Mercier n'était donc ni bibliophile et encore moins bibliomane. Gageons que l'amateur qui trouvera demain une belle reliure de maroquin portant la signature du "livrier" sera un heureux veinard... si ce livre existe jamais ?!

(1) Annuaire du bibliophile, du bibliothécaire et de l'archiviste, Miscéllanées, Louis Lacour. 1860. p. 108.

Bonne semaine,
Bertrand

dimanche 25 janvier 2009

Les lectrices à travers les âges vues par Jean Richepin et Lucien Métivet (1890)


Petite bluette aujourd'hui. Le message d'hier m'a laissé un peu... sur les rotules, je dois l'avouer.

Je vous offre un poème de Jean Richepin publié en fac-similé dans Le Livre moderne, première livraison de janvier 1890, ainsi qu'une belle composition de Lucien Métivet gravée à l'eau-forte par Henri Manesse. Ces deux pièces illustrent le même thème (certainement proposé par le maître des lieux, à savoir Octave Uzanne, maître des lieux et rédacteur unique de cette revue de luxe destinée aux bibliophiles exigeants de la fin du XIXe siècle.

Le thème ? Les lectrices à travers les âges.

Je vous laisse apprécier les deux artistes, chacun dans leur domaine, de l'écrit et du trait. Magnifique !

Cliquez sur les images pour les agrandir



Pour ceux qui ne l'auraient pas encore vu, je vous donne le lien vers un autre article que nous avions consacré à une eau-forte de Robida publiée dans la même revue, intitulée "Cauchemar d'un bibliophile".

Bon dimanche, avec une pensée pour ceux qui ont senti soufflé hier le vent autour des rayons de leur bibliothèque...

Bertrand

samedi 24 janvier 2009

Sur la publication clandestine de la satire douzième sur l'Equivoque de Nicolas Boileau-Despréaux (1711)



Première page de la Satire XII sur l'Equivoque publiée clandestinement par le libraire Billiot en 1711 ? Cette satire était alors frappée d'interdiction par Louis XIV. Ce serait la première impression de la Satire XII, au format in-4.


Chers amis,
voici un petit billet qu'il me tardait de vous présenter, pour aiguiser votre intérêt, une fois de plus, pour l'histoire des arcanes des publications anciennes. J'y pensais déjà depuis un moment, depuis en fait le moment où j'ai eu la chance de moi-même faire cette petite découverte, dont j'ignorais tout.

Nicolas Boileau-Despréaux meurt dans sa soixante-quinzième année à Paris le 13 mars 1711 au terme d'une vie consacrée à la littérature et plus particulièrement à la poésie. Libéré des contraintes matérielles par l'héritage qu'il fait de son père, il peut, dès 1657 (il a 20 ans), écrire. Lié très jeune aux plus grands littérateurs de son temps, par l'entremise de son frère Gilles Boileau, il investit les cercles mondains et distingués pour y faire ses premières armes de poète.

C'est d'abord dans le genre de la satire qu'il s'illustre dès 1657. Ses satires I à VII seront finalement publiées ensemble dès 1666. Ses attaques contre les auteurs sont virulentes surtout tellement bien tournées qu'il gagne rapidement la notoriété. Les satires VIII et IX seront publiées en 1668. Il y gagne succès et de très nombreuses inimitiés. Boileau admire Molière, il est à ses côtés dans la querelle de L’École des femmes. Ses rapports avec La Fontaine sont des plus éloignés. Il s'éloigne alors brusquement du genre de la satire (pour 25 ans) et se tourne vers le genre de l'épître ; les épîtres morales plus précisément. (il publiera XII épîtres jusqu'en 1695).

En 1694, Boileau revient à la satire, toujours misogyne, c’est aux femmes qu’il s’en prend. Il profite surtout des prétextes que lui offre son sujet pour se moquer des Modernes et des Casuistes. C’est contre la casuistique qu’il mène son dernier combat. Il écrit sa dernière épître et ses deux dernières satires. Elles valent par la chaleur de la conviction et par le courage dont elles témoignent. Seules purent paraître, l’épître XII et la satire XI.

Mais venons-en à l'objet du délit.

Pendant sept ans, Boileau s’épuise en démarches pour obtenir le droit de publier la satire XII, la plus importante, celle où il s’en prend à l’Équivoque. Le 3 janvier 1711, Louis XIV lui-même, sur le conseil de son confesseur le Père Le Tellier, interdit qu’elle soit imprimée.

Qu'est-il advenu de cette satire XII ?


Il faut lire Emile Magne et sa Bibliographie générale des Oeuvres de Nicolas Boileau-Despréaux, Paris, Librairie Giraud-Badin, 1929, au tome premier (sur deux) et à la page 113 :

"n°72 SATIRE DOUZIEME | sur | L'EQUIVOQUE. | S.L.N.D. [1711?] In-4° de 20 p. Titre de départ. L'unique exemplaire que nous connaissons de cette édition ne possède pas de page de titre. Il est composé de la façon suivante. P. 1. Titre de départ : DISCOURS | DE | L'AUTEUR, | pour | Servir d'Apologie à la Satire XII, sur l'Equivoque. (suivi du discours - reproduit dans Magne). P. 7-18. Titre sus-indiqué et texte de la Satire. P. 19. Epigramme aux Révérends Pères qui m'avoient attaqué dans leurs écrits. P. 20. Epigramme sur mon Epître de l'Amour de Dieu.

Voici le commentaire de M. Emile Magne :

"Cette plaquette ; nous paraît présenter toutes les caractéristiques d'une édition française et même parisienne. Elle contient le Discours véritable de Boileau et deux Epigrammes qui appartiennent aussi au satirique. Le texte de la Satire semble correct. On n'y rencontre pas les pièces tendancieuses que les éditeurs hollandais ajoutèrent à leurs impressions. Dans l'impossibilité où nous nous trouvons de préciser laquelle des nombreuses éditions de la Satire II précéda les autres, celle-ci, si l'on en rencontrait un exemplaire complet, attirerait justement la prédilection des bibliophiles. C'est pourquoi nous la plaçons en tête de ses contemporaines."

M. Magne cite l'exemplaire en question qui est conservé à la Bibliothèque du Mans, section Théologie (?), n° 3038.

Début de la Satire XII au format in-4 (Esprit Billiot, 1711 ?) 20 pages.


Que faut-il conclure de tout ceci ? Qu'il s'agit de la seule édition à pagination séparée de cette Satire XII au format in-4. Ce que n'a pas précisé M. Magne, c'est que cette pièce de 20 pages sans page de titre datée, est signée A4-B4-C2. Ce qui indiquerait une publication séparée imprimée sans titre dès l'origine. La page de titre de cette Satire XII in-4 n'existerait donc pas. E tous les cas aucun bibliographe ne l'a, à ce jour, relevée.

Si je peux me permettre de vous parler de cette impression qu'on ne rencontre guère, c'est parce que je l'ai sous les yeux au moment où j'écris ces lignes. Comment se présente-t-elle ? Elle est insérée à la fin d'un volume qui contient les Oeuvres de Nicolas Boileau-Despréaux dans l'édition de Paris donnée par Esprit Billiot en 1713, 2 parties en 1 fort volume in-4. L'exemplaire est relié en veau brun au chiffre du collège de Plessis-Sorbonne (chiffre répété au dos entre les nerfs et aux angles des plats). Cette jolie édition in-4 est par ailleurs fort appréciée pour les belles figures de Gillot pour le Lutrin qu'elle contient, ainsi que pour le joli portrait de l'auteur par Drevet.

Voici ce que disent conjointement Brunet (manuel du librairie) et Graesse (qui lui a copié dessus plus qu'à son tour...) sur cette édition :

"On ne trouve ni dans l'une ni dans l'autre (édition in-12 publiée la même année) sa satire XII sur l'équivoque."

Voici ce que Brunet ajoute :

"On croit que l'impression de celle édition avait été commencée du vivant de l'auteur, bien qu'elle n'ait été terminée que deux ans après sa mort, par les soins de Valincourt et de Renaudot. Ces deux éditeurs ont ajouté de nouvelles notes à celles de Boileau. Le libraire Esprit Billiot donna dans la même année une édition in-12 de xlviij, 558 et 508 pp. On ne trouve ni dans l'une ni dans l'autre la salire XII sur l'équivoque, pièce réunie pour la première fois aux œuvres de l'auteur dans l'édition que Brossette a fait imprimer à Genève, en 1716, en 2 vol. in-4. et en 4 vol. in-12. avec ses commentaires."

On trouve une notice dans le Bulletin de la librairie Morgand (n°948) qui indique un exemplaire de cette même édition de 1713, contenant, en manuscrit, à la fin, la Satire XII avec les autres pièces en vers qui l'accompagnent.

On lit enfin, dans l'édition plus récente des Oeuvres de Boileau par Charles-H Boudhors, 1960, p. 314 : "Ne vient-il pas à l'esprit que subrepticement, pour quelques privilégiés, Billiot a glissé dans son édition la Satire frappée d'interdiction ?" Et ce fut vraisemeblablement le cas.

Billiot n'a pas le droit de faire imprimer cette Satire XII en 1711 lors de l'achèvement de son écriture par Boileau. On peut supposer de l'éditeur a fait imprimer quelques exemplaires, sans page de titre (donc sans adresse) de la Satire XII, d'une part afin de la distribuer à quelques amis de l'auteur et lecteurs moins regardant sur l'interdiction pourtant en vigueur (Billiot risquait beaucoup en publiant sous interdiction du Roi une Satire de Boileau). L'édition in-4 publié en 1713 étant déjà commencée, il avait également sans doute en tête d'ajouter cette petite pièce de 20 pages à quelques exemplaires. Ce qu'il fit. Un libraire audacieux assurément !

Un auteur du XIXe siècle (M. Berriat Saint-Prix) est d'un autre avis quant à l'antériorité de l'une ou l'autre de ces éditions. Voici ce qu'il écrit à propos d'une mince plaquette in-12 également de 20 pages ayant pour titre : "Satire douzième de M. Boileau Despreaux sur les Equivoques"

"Voilà la seule édition du la satire XII où nous ayons vu l'indication du sujet au pluriel (les équivoques), ce qui nous fait présumer que c'est la première qu'on ait publiée de cet opuscule, les éditeurs postérieurs aux deux éditions de Paris, ayant se modeler sur leur intitulé." (Bibliothèque de Grenoble).

Voici la couverture (avec titre manuscrit à l'époque), la première page qui sert de titre et la première page d'avertissement de cette édition in-12 de 1711 (publiée sans date), que j'ai la chance de posséder également. Note : le texte imprimé s'arrête au bas de la page 18 et le dernier feuillet est blanc.






Voici encore quelques détails concernant cette édition de 1713 décidément sujet à caution et dont les bibliographes ne tarissent pas :

"Boileau venait de commencer une nouvelle édition vers la fin de 1710, mais ses ennemis ayant obtenu une défense d'y insérer la satire XII, « il aima mieux, dit Desmaiseau.x p. 282 à 285 (il y donne le récit de celle intrigue), supprimer entièrement cette édition que de la mutiler. » Quelques personnes disent aujourd'hui que l'édition de 1713 est cette même édition que Valincourt et Renaudot reprirent après la mort de Boileau (13 mars 1711). On serait autorisé à regarder ce récit comme apocryphe, si l'on réfléchit que l'avis du censeur, destiné à autoriser l'impression, n'est que du 7 nov. 1712, et quoique ce censeur soit Renaudot lui-même, il est douteux qu'il eût voulu s'exposcr sans utilité aux risques inséparables d'une imputation de faux... Admettons-en toulefois l'exactitude, cette édition ne mériterait quelque confiance que jusqu'au point où Boileau l'avait interrompue ; encore cela est-il susceptible de beaucoup de restrictions, si l'on se rappelle l'usage où il était de faire souvent ses corrections au moment du tirage, et l'on convient d'ailleurs que l'édition de 17 13 est moins correcte que celle de 1701. Mais dans la même hypothèse , quel est l'endroit de l'édition où Boileau s'arrêta ? Suivant Desmaiseaux, ce fut à la cinquième feuille, ce qui conduirait pour l'in-4, au 78e vers de la satire VI, et pour l'in-12, au 92e vers de la satire VIII .... Nous serions tentés d'assurer que Boileau ne revit les épreuves que de la première pièce (Discours au roi ), parce qu'on trouve dans la suivante une faute trop grossière pour quelle lui fût échappée, ou qu'il ne l'eût pas au moins corrigée dans un carton." (in Notes bibliographiques de M. Berriat Saint-Prix pour l'édition des Oeuvres de Boileau, tome I, 1830).

Comme on le voit, rien n'est simple en bibliographie ! Il faut rester prudent sur l'histoire des éditions, même des livres dont on a beaucoup parlé et sur lesquels a coulé beaucoup d'encre.

On pourrait sans doute encore beaucoup disserter sur Boileau et l'édition de ses Oeuvres et de ses Satires, mais arrêtons-nous ici pour aujourd'hui. J'ai acheté (incorrigible que je suis...) un autre exemplaire des Oeuvres de Boileau dans la même édition de 1713... mais point de Satire XII reliée à la fin...

Combien d'exemplaires sont encore en circulation aujourd'hui de cette mince plaquette témoin de l'histoire littéraire agitée du grand siècle sous la coupe d'un monarque absolu qui disait simplement à ses auteurs "oui"... ou "non"... ?? (il semblerait que la médiathèque d'Orléans possède un exemplaire (mal décris) de cette pièce rare en 20 pages in-4 ?? à vérifier...)

En un mot... découvrez Boileau ! J'adore ce flanqueur et ciseleur de vers, mordant, pointu, trouvant toujours le bon mot pour la bonne occasion. Si j'osais, je dirais que Boileau est un peu pour moi mon Michel Audiard du XVIIe siècle... (je sais la comparaison n'est pas universitairement acceptable... mais si vous saviez ce que je m'en...)

Terminons donc sur quatre vers du poète :

"De tous les animaux qui s'élèvent dans l'air,
Qui marchent sur la terre, ou nagent dans la mer,
De Paris au Pérou, du Japon jusqu'à Rome,
Le plus sot animal, à mon avis, c'est l'homme.”
Boileau, Satire VIII


En espérant que vous avez pris plaisir à cette promenade bouquinière,
Bertrand

vendredi 23 janvier 2009

Des jeunes et des vieux bibliophiles ou de l'art de la curiosité


Au delà de tous les livres qui ont été écrits, comme celui-ci,
sur la bibliophilie et son apprentissage,

c'est avant tout le livre qu'il faut toucher et par lui qu'il faut être touché.



Chers amis jeunes et moins jeunes bibliophiles,

j'ai été interpellé hier (pas par la police rassurez-vous...) par un fidèle lecteur du Bibliomane moderne sur le fait que les bibliophiles étaient vieillissants et qu'il fallait peut-être penser à "revitaliser la bibliophilie avant qu'elle ne meure".

La discussion et l'échange entre bibliophiles, débutants ou confirmés, érudits, curieux, vieux ou jeunes est une évidence pour moi, et ce afin de "transmettre" l'envie, la passion. Maintenant, je reconnais que cela m'a fait réfléchir sur cet état de fait : la bibliophile est-elle en train de mourir ? Si oui, des blogs comme le Bibliomane moderne, peuvent-ils y contribuer ?

Évidemment, ce serait tout le contraire de l'objectif de départ qui est de mettre en avant, à travers ma passion pour le livre et celle de mon ami Xavier et de nos autres amis qui interviennent sur ce blog, l'amour du livre à travers une exacerbation de votre curiosité. Je ne sais donc pas très bien si l'objectif est atteint ou complètement dévoyé. J'aime à penser que ce que je vous livre chaque jour n'est pas d'une inutilité absolue et que, jeunes ou vieux, les non-bibliophiles qui nous lisent chaque jour auront ce "déclic" indispensable qui rend fou (des livres).

Pour que l'alchimie opère il faut lire plus d'une fois ce blog, y venir et y revenir régulièrement, prendre le temps de se plonger dans les vieux catalogues de libraires ou de ventes aux enchères des années passées, devenir assez curieux pour avoir envie de savoir ce que veut dire "in-12", "maroquin" ou "premier état". Je sais, je pourrais aussi faire des messages à caractère pédagogique en ce sens, en un mot "enseigner" la bibliophilie. J'avoue que ce n'est ni mon envie, ni la ligne que nous avons souhaité donner au Bibliomane moderne.

Nous ne souhaitons pas faire "école de bibliophilie". Nous sommes passionnés, nous exprimons notre passion ; qui nous aime nous suive ; le chemin est long, sinueux, accidenté, semé d'embûches ; tout comme une initiation, toujours un peu fastidieuse au début, cela nécessite volonté, persévérance, abnégation, et autres sévères prédispositions caractérielles (je plaisante...).

Tout ceci pour dire que j'avais envie, pour faire suite à cette interpellation, de vous livrer quelques conseils aux jeunes bibliophiles qui sortent de la plume de Jules Le Petit, savant bibliographe du XIXe siècle et auteur d'un ouvrage à lire : "L'art d'aimer les livres et de les connaître, Lettres à un jeune bibliophile" P., , 1884. Voici l'extrait qui convient, je pense, à ce que nous voulons montrer ici.

"On ne commence à devenir bibliophile que lorsque le goût de la lecture s’étant épuré, et le jugement étant venu tempérer l’imagination, on éprouve le besoin de relire de temps en temps, avec plus d’attention, certains ouvrages dont le sujet ou le style nous ont plu. C’est l’art, pour ainsi dire, que l’on cherche dans un livre qu’on lit de nouveau, c’est la forme du style, c’est l’ornementation des pensées, c’est leur vêtement, ce sont les broderies riches ou légères dont elles sont parées, les diamants d’esprit qui y étincellent ; et le sort du livre dépend souvent de ce second examen, bien, plus que du premier. En effet, on jette rarement, à moins qu’il ne vaille rien, un livre qu’on n’a lu qu’une fois, toujours promptement comme on lit d’abord ; mais si, après la nouvelle épreuve, le style n’a pas plu, et si les pensées n’ont pas été assez puissantes pour nous séduire, nous fermons le livre avec dédain, et c’en est fait de lui. Au bout de peu de temps, lorsqu’il nous gêne, nous l’envoyons grossir les étalages des bouquinistes du quai, où il fait connaissance avec les amateurs placides de la « fameuse boîte à cinq sols ». Que devient-il ensuite ?... Les épiciers, les marchands de tabac ou les chiffonniers, nous le diraient plus facilement que qui que ce soit ; mais nous ne leur demandons aucun compte.


Il en est bien autrement si le livre, nous ayant frappé une première fois, supporte avec succès un second examen, une seconde lecture. Oh ! alors le voilà déjà classé dans les rayons de notre bibliothèque, où il attend plus ou moins longtemps la reliure qui lui est propre, et que nous lui ferons faire à coup sûr un jour ou l’autre. Désormais le volume est sauvé. Nous le traitons avec soin, nous le choyons avec délicatesse, nous veillons à ce qu’il se conserve intact, nous nous faisons tirer fortement l’oreille pour le prêter même à nos amis, et en cela nous faisons bien. Nunquam amicorum ! disait franchement un bibliophile mort il y a peu de temps, et qui avait attaché cette devise catégorique à tous les volumes de sa bibliothèque. Il est vrai que ceci est la contre-partie d’une autre devise bien moins égoïste, employée par quelques amateurs, entre autres par l’éminent bibliophile du XVIe siècle, qui avait fait graver sur ses livres : Jo. Grolierii et amicorum ; mais je ne crois pas que Jean Grolier et ses imitateurs aient été sincères. Peut-être cependant les amis de ces hommes généreux étaient-ils appelés à l’immense satisfaction d’admirer de temps à autre, à travers des vitrines, les splendides reliures qu’ils faisaient exécuter. Dans ce cas, je comprends la portée de leurs devises, qui étaient à vrai dire tant soit peu hypocrites. Je le maintiens, les vrais amateurs ne prêtent pas leurs livres, même à des amis.


Quand on en est là, on se sent déjà bibliophile. On commence à choisir l’édition, le format, la belle impression, le beau papier, on cherche un bon relieur, auquel on recommande de ne pas rogner les marges... Enfin ce que l’on aime, ce n’est plus seulement la lecture, c’est à présent le livre lui-même ; et il semble vraiment que l’œuvre de l’auteur ou du poète soit plus belle et ait plus de mérite, étant renfermée dans cette édition, que dans un volume vulgaire.


C’est ici seulement, mon cher ami, que l’on commence à avoir besoin de consulter des gens expérimentés ; à moins de faire comme beaucoup d’amateurs irréfléchis, qui « s’instruisent à leurs dépens », et dont les dépens sont souvent si considérables que le dégoût des livres ne tarde pas à s’emparer d’eux. Car, toute question de goût personnel à part, il faut avoir déjà certaines connaissances, pour distinguer les bonnes éditions des mauvaises, pour savoir choisir entre les textes fautifs, entre les productions typographiques qui flattent l’œil sans avoir d’autre mérite, et les belles et simples impressions si recherchées des vrais amateurs. Il faut être déjà connaisseur surtout pour reconnaître la qualité des reliures, et ne pas se laisser séduire par des apparences éblouissantes, sous lesquelles sont quelquefois présentées des reliures médiocres, qui ne possèdent souvent pas d’autres avantages beaucoup plus sérieux.


Et voilà autant de choses qu’il est bien difficile d’expliquer dans de simples lettres et même dans un ouvrage quelconque de bibliographie. Tout ce que l’on pourra écrire en théorie sur ce sujet sera toujours fort incomplet, mais aura cependant l’avantage de mettre les jeunes ou les nouveaux amateurs en garde contre l’envahissement des ouvrages sans mérite

Vous, mon ami, par exemple, qui m’avez tant prié de vous écrire mes conseils, vous ne serez certes pas, après les avoir lus, un aigle en bibliographie ; mais un peu d’étude et d’habitude aidant, vous pourrez arriver, en appliquant les idées que je vous aurai transmises, à connaître suffisamment les livres pour vous former une bibliothèque assez bien choisie. (...)"

Jules Le Petit, Lettre I, extrait.

et je finirai par cette phrase de Gaston Bachelard (colloque de Cerisy) :

"Le paradis, à n'en pas douter, n'est qu'une immense bibliothèque"


Bonne journée,
Bertrand

jeudi 22 janvier 2009

Jeanne-Antoinette Lenormant d’Étiolles née Poisson, marquise de Pompadour (1721-1764)



Le portrait de la Pompadour par Boucher
(Munich Bayerische Staatsgemäldesammelungen
)

Note préliminaire : De l’utilité de la documentation. Les ouvrages de la Pompadour ont toujours étés TRÈS recherchés par les bibliophiles, et si il y a très peu de faux dans les livres anciens ; en revanche il y a des fausses provenances. On sait aujourd’hui, que les fers à dorer à ses armes ont étés acquis par des doreurs qui les ont utilisés sur des plats d’ouvrages qui ne lui ont jamais appartenu (car ne figurant pas dans le catalogue de sa vente). Des remboîtages ont aussi étés trouvés. Ce rare catalogue de 3796 lots (3525 ouvrages, 1000 volumes d’histoire, 235 de musique, 36 recueils d’estampes, et une table des ouvrages décrits) se trouve parfois entre 600 à 1200 Euros selon le type de reliure ; il à été réédité en 1984. Ce catalogue de vente fait, « comme d’habitude », référence ; un ouvrage de cette prestigieuse provenance doit donc y figurer, et la notice de libraire/expert, doit indiquer le numéro du lot de cette vente.


Gravelle, Levesque de. Recueil de pierres gravées antiques.
Paris, Mariette, 1732-1737.
2 tomes en un volume in-4
Catalogue de la librairie Laurent Coulet (2009), prix non communiqué.
Il figure sous le N° 3373 du catalogue de la dispersion de sa bibliothèque en 1765.



L'article qu je vous propose est extrait du tome II de l’ouvrage d’Ernest Quentin-Bauchart, Les femmes bibliophiles de France (XVI, XVII et XVIIIe siècle), Paris, Damascène-Morgand, 1886.

Tout a été dit sur
Madame de Pompadour, mais l'influence qu’elle exerça sur son époque, au double point de vue de l’art, qu'elle encouragea, et des lettres, dont elle se fit la protectrice , est si considérable , le goût éclairé et délicat qu'elle manifesta pour les livres a si bien marqué sa place au milieu des grands amateurs des siècles passés, que nous ne pouvons nous dispenser de lui consacrer quelques lignes, ne fût-ce que pour mieux mettre en relief les principales richesses de sa belle bibliothèque, aujourd'hui dispersée.

Jeanne-Antoinette Poisson, marquise de Pompadour, est née en 1721. Elle était fille d'Antoine Poisson, premier commis dans les bureaux des quatre frères Paris qui jouèrent un rôle si important dans l'histoire financière de la première moitié du XVIIIe siècle.

Lenormand (Le Normand ?) de Tourneheim, un des syndics de la ferme générale, qui vivait publiquement avec sa mère, se chargea de son éducation, et, comme s'il eût pressenti les destinées qui l’attendaient, ne chercha qu'à développer ses grâces et son esprit, sans grand souci de la morale. « Elle chantait et jouait du clavecin, dansait à ravir, montait à cheval et Crébillon lui avait appris à réciter les vers. »

Dès qu'elle fut en âge d'être mariée, M. de Tourneheim la donna à son neveu Lenormand d'Etioles. Elle n'eut plus, alors, d'autre but que de devenir la maîtresse du roi, et mit tout en œuvre pour attirer son attention. « Madame d’Etioles, dit Souleviez, accompagnoit le roi dans toutes ses chasses, non pas comme appartenant à sa suite, mais comme spectatrice. Comme une déesse descendue du ciel, elle paraissoit dans la forêt de Sénart, à côté du château d’Etioles, tantôt vêtue d'une robe d’azur, dans un phaéton couleur de rose, et tantôt vêtue de couleur de rose dans un phaéton d'azur. Sa beauté était éclatante ; aussi la duchesse de Châteauroux, qui redoutoit déjà l'inconstance de Louis XV, en prit-elle ombrage. On a dit que Madame d'Etioles , confondue dans la foule, ayant osé venir étaler ses charmes au grand couvert, Madame de Châteauroux se plaça entre le roi et elle, comme un écran, chercha des pieds la rencontre des siens et les écrasa du poids de son corps, pour lui apprendre par ce châtiment anonyme à oser se montrer au roi. Mais Madame d'Etioles était si patiente, que rien ne fut capable de la distraire de ses projets. » Elle fit, en effet, si bien et joua si serré que trois mois à peine, après la mort de la duchesse de Châteauroux, elle la remplaçait et était installée à Versailles.

Toute la cour, à l'exception du Dauphin et de Mesdames, qui ne lui cachaient pas leur dédain (1), fut bientôt à ses pieds : elle eut le tabouret qui lui donnait rang de duchesse, et s'imposa à la pauvre reine,
Marie Leczinska, comme dame du palais.

Les grands lui accordèrent les mêmes marques de déférence qu'autrefois à
Madame de Maintenon, et Voltaire lui adressa ces vers, qui témoignent plus de sa servilité qu'ils ne font d'honneur à sa muse :

Ainsi donc vous réunissez
Tous les arts, tous les goûts, tous les talents de plaire,
Pompadour vous embellissez
La Cour, le Parnasse et Cythère.
Charme de tous les cœurs, trésor d'un seul mortel,
Qu'un sort si beau soit éternel !
Que vos jours précieux soient comptés pour des fêtes !
Que de nouveaux succès marquent ceux de Louis !
Soyez tous deux sans ennemis,
Et gardez tous deux vos conquêtes !

Dufresnoy (Alphonse) et MARSY (Abbé de).
L'Ecole d'Uranie ou l'art de la peinture.
Paris, Le Mercier, 1753.
In-12, maroquin vert live, triple filet doré encadrant les plats.
Aux armes argentées de Madame de Pompadour (source Argus du bibliophile).


En 1752, la santé de Madame de Pompadour s'altéra subitement ; elle avait l'air épuisée, «sucé (2). » Le roi sembla s'éloigner d'elle et l'on crut un moment que c'en était fait de sa fortune ; mais ses ennemis avaient compté sans les ressources de son esprit.

Elle sut amuser le plus ennuyé des monarques (3) et la toute puissance de l'habitude rendit sa domination inébranlable. L'usage qu'elle en fit fut, malheureusement, détestable : d’un orgueil insatiable, elle sacrifia les meilleurs ministres.
A ses rancunes, protégea et persécuta tour à tour, au gré de son caprice, les Jésuites et les Jansénistes, et, grisée par les flatteries de Marie-Thérèse d'Autriche qui, en habile politique, l'avait appelée un jour « ma cousine », elle précipita la France dans cette funeste guerre de sept ans qui devait aboutir à tant d'humiliations et de désastres.

Madame de Pompadour aurait donc la plus triste place dans l'histoire, sans la faveur dont elle entoura les artistes et la protection qu'elle accorda toujours aux philosophes et aux savants, qui dirigeaient alors le grand mouvement des esprits.

Au point de vue de l'art, elle exerça sur son époque une influence décisive :

« Elle a été l'inspiratrice du goût et de l'art pendant ce qu'elle appelait « son règne
», dit le baron Roger Portalis, dans son joli livre sur les Dessinateurs d’illustrations au dix-huitième siècle. « C'est sous son influence, on peut le dire, et sous l'inspiration de son goût, que Carle Vanloo et Boucher ont peint, que Bouchardon, Coustou, Falconet et Pigalle ont sculpté leurs marbres ; que Cochin et Eisen ont dessiné que Guay a creusé ses pierres fines, et chacune des œuvres de ces artistes portent le cachet Pompadour. Pour avoir une influence plus directe sur les arts, elle avait, dès 1745, fait renvoyer Orry, le vieux directeur des bâtiments royaux, qui n'aurait pu la suivre dans ses vues de réforme et dans les grands projets qu'elle méditait, et elle avait appelé l'oncle de son mari, Le Normand de Tourneheim, pour le remplacer. A sa mort, son frère, qui lui succédait, alors marquis de Marigny, et qui fut peut-être, parmi tous ceux qui ont dirigé les arts au XVIIIe siècle, le plus intelligent et le plus dévoué, continua à subir l'ascendant et les volontés de sa sœur. »

Ajoutons que c'est à Madame de Pompadour que nous devons la création de la grande manufacture de Sèvres, dont les produits devaient bientôt défier toute concurrence : « Madame de Pompadour, écrit d’Argenson, ne fait que prêcher le grand avantage qu'il y a pour l'État à faire de la porcelaine à la façon de Saxe, et même à l'avoir surpassée. On établit rue de la Monnoie un magasin royal pour cette porcelaine. On y voit un service que le roi envoie au roi de Saxe ; comme pour le braver et le provoquer, lui disant qu'il a surpassé même sa fabrique. Aux soupers du roi, la marquise dit que ce n'est pas être citoyen que de ne pas acheter de cette porcelaine autant qu'on a de l'argent. »

La Marquise, qui dessinait et gravait avec un certain talent, avait conçu, dès les premiers moments de sa faveur, l'idée de fixer sur des pierres précieuses, par le moyen de la gravure, le souvenir des principaux évènements du règne de son royal amant. Les peintres Boucher et Vien, le sculpteur Bouchardon, devaient composer les dessins ; le graveur Guay était chargé de les graver sur pierres fines ; Madame de Pompadour s'était réservée de reproduire l'œuvre de Guay, soit à l'eau-forte, soit au burin. Elle commença ce travail très curieux par un portrait de Louis XV, en empereur romain, d'après une sardoine onyx de trois couleurs intaillée par Guay ; grava ensuite le triomphe de Fontenoy, d'après le dessin de Bouchardon, et reproduisit elle-même, à l'eau-forte retouchée au burin, toute une série de sujets, au-dessous desquels elle écrivit de sa main : Pompadour sculpsit (4).

Madame de Pompadour
Pastel de Maurice Quentin de La Tour, 1755

Musée du Louvre


On raconte que Voltaire, alors dans son intimité, l'ayant surprise un jour dessinant une tête, improvisa sur le champ ce galant quatrain :

Pompadour, ton crayon divin,
Devroit dessiner ton visage ;
Jamais une plus belle main
N'auroit fait un plus bel ouvrage.

On attribue encore à Madame de Pompadour la gravure de quelques planches érotiques connues sous le titre : "Mes Loisirs, dédiés à mes amis, petit recueil pour exciter la ferveur des fidèles aux matines de Cythère, par un amateur de l'office", 1764. La preuve absolue nous manque ; mais la femme qui possédait, dit-on, le Portier des Chartreux (5), et qui faisait usage de chocolat à triple vanille et ambré (6), pour forcer sa nature rebelle à s'associer aux plaisirs qu'exigeait le roi, était bien capable d'occuper ses loisirs à ces distractions excitantes.

La bibliothèque que la marquise avait réunie à grands frais est considérable : le catalogue qui en fut dressé après sa mort, par le libraire Hérissant (7), sur des cartes fournies par l'abbé de la Garde, son bibliothécaire (8), contient, avec la musique et les livres d'estampes, énumérés à part, près de 4,000 articles. Il embrasse tous les genres de littérature depuis la Théologie jusqu'à l'Histoire. Chaque catégorie y est brillamment représentée : la classe des Belles-Lettres, où figure, entre autres richesses, une belle série de pièces gothiques, en vers et en prose, et de romans de chevalerie, est fort intéressante, et la partie du théâtre est la plus complète qui ait existé avant La Vallière.

A l'exception d'un certain nombre d'exemplaires privilégiés, tels que la Rodogune, en mosaïque, du comte de Sauvage (planche 21) ; la Journée du Chrétien, qui vient de Bonnemet (9) ; les Contes de La Fontaine, du baron de La Roche-Lacarelle ; le Daphnis et Chloé, qui nous a appartenu ; le Tancrède, de la Bibliothèque de l'Arsenal ; le beau Théâtre des petits appartements de Versailles, que possède S. A. R. le duc d'Aumale, le Dictionnaire de Bayle, acquis par M. Ed. Bocher, et le joli buvard de M. Gruel- Engelman ; la reliure de la plupart des volumes qui composent cette riche collection, est très médiocre.

C'est le moment où Derome le jeune et ses imitateurs abandonnent les grandes traditions de l'art pour exécuter ces reliures à dos plats, sans nerfs, que nous retrouvons dans toutes les grandes bibliothèques de l'époque et qui ont si mauvaise grâce que le livre n'a pas l'air d'être cousu, mais simplement emboîté.

Le grand tort de
Madame de Pompadour, de cette femme artiste, dont le nom est devenu le synonyme de toutes les élégances du temps où elle a vécu, a été de ne pas réagir contre ces tendances déplorables et de n'avoir pas soutenu de son goût et de sa faveur l'art charmant de la reliure, dont elle a, par cet impardonnable oubli, hâté la décadence. La honteuse paix de 1763 avait soulevé contre la favorite un déchaînement général.

Rongée de soucis, lasse de ce combat perpétuel qu'elle était obligée de livrer pour conserver le pouvoir, elle tomba dans une maladie de langueur qui la fit dépérir avec une effrayante rapidité. On la transporta de Choisy à Versailles, et c'est là qu'elle mourut, le 15 avril 1764, au commencement de sa quarante-quatrième année.

Le jour même où elle attendait sa dernière heure, le curé de la Madeleine, dont elle était paroissienne, vint l'exhorter à bien mourir. Comme il prenait congé d'elle :
« Un moment, Monsieur le curé, lui dit la marquise, nous nous en irons ensemble (10). »

Il existe deux portraits de Madame de Pompadour : le premier est le triomphant pastel de Quentin de la Tour, que l'on peut admirer au musée du Louvre ; le second, beaucoup moins connu, est de Boucher et appartient au baron Adolphe de Rothschild. C'est après l'avoir exécuté, que le peintre de Louis XV reçut un jour ces deux vers : Quoi ! Les Grâces encore et Vénus et l'Amour ! N'avais-tu pas, Boucher, déjà peint Pompadour ? La marquise y est représentée chez elle, à demi-couchée sur une ottomane. Elle porte un déshabillé de taffetas bleu à volants, semé de branches de roses en broderies, et garni, au corsage, d'un foisonnement de nœuds et d'une dentelle d'argent. Sa main, qui tient un livre, retombe nonchalante et sa tête fine, un peu fatiguée, reste pensive. C'est bien la royale courtisane telle qu'on se la figure dans le déclin de ses dernières années ; moins théâtrale que dans le portrait de la Tour, cette peinture est empreinte d'un charme plus mélancolique et plus attachant.

(1) M. le Dauphin et Mesdames n'appellent plus Madame de Pompadour que maman p… , ce qui n'est pas d'enfants bien élevés, dit d'Argenson. (Mémoires, éd. Jannet, T.III, p.254)

(2) J'ai trouvé la marquise de Pompadour extrêmement changée. Elle était à la messe de la chapelle, coiffée de nuit, avec la mine du monde la plus sucée et la plus malsaine. Elle ne peut résister à la vie qu'elle mène, de veilles, d'occupations, de spectacles, de dépenses continuelles pour amuser le roi ; tandis qu'elle-même, en outre, est sans cesse occupée d'affaires, et au milieu d'un tourbillon de monde continuel... (Mémoires du marquis d’Argenson, éd. P.Jannet, T.III, p.205)

(3) On sait que Madame de Pompadour usait des procédés les moins avouables pour combattre l'ennui incessant qui dévorait le roi : Un soir, raconte le baron Roger Portalis, au temps où déclinait sa faveur, elle vint mystérieusement trouver Boucher. La favorite était inquiète, car Louis XV s'ennuyait, et qu'inventer de nouveau pour ce palais blasé ? Ils imaginèrent ensemble un boudoir magique où fussent étalés les plus voluptueuses images. Boucher composa, sur le champ un poème érotique en plusieurs tableaux : il les exécuta avec un art tel que les amateurs qui les ont vus affirment que, pour la magie du coloris et la grâce des formes, ce sont les plus beaux Boucher du monde. Ces peintures étaient encadrées à l'Arsenal, qu'habitait alors Mme de Pompadour, dans de riches panneaux. Quand Louis XVI, au commencement de son règne, visita ce palais sous la conduite de M. de Maurepas, celui-ci le conduisit au fameux boudoir. Il faut faire disparaitre ces indécences, dit-il aussitôt. Le courtisan se le tint pour dit et s'empara de ces belles peintures. Après diverses fortunes, elles font actuellement partie d'une grande collection anglaise.

(4) Ce recueil porte pour titre : Suite d'estampes gravées à l’eau-forte par la marquise de Pompadour, d'après ter pierres gravées de Guay. La Bibliothèque de l'Arsenal possède un exemplaire de ces planches, qui fut offert par la marquise au marquis de Paulmy. Il est très richement relié en maroquin rouge et porte sur les plats, les mots suivants, en lettres d'or : Œuvre de Madame la marquise de Pompadour, donné par elle-même au marquis de Paulmy. A l'intérieur du volume se trouve la note suivante dont nous respectons l'orthographe : Les six premières feuilles ne font point partie de l'œuvre de Madame de Pompadour, quoiqu'elles ayent aussi étés gravées par elle à l'eau-forte. Les trois premières sont d'après les dessins de Boucher; les deux suivantes d'après deux beaux morceaux de sculpture en ivoyre que la marquise avait dans son cabinet, et le dernier, d'après un très beau dessin de l'Antre du Sommeil, qu'elle avait également dans son cabinet, encadré, et dont elle faisait grand cas. Chacune de ces pièces porte au bas de la page, dans un cartouche dessiné à la plume : Ex dono authoris.

(5) Voir le catalogue de la collection érotique de Bérard.

(6) Mémoires de Madame du Housset. Paris, Baudouin frères, 1861, page 92.

(7) Catalogue des livres de la bibliothèque de feue Madame la marquise de Pompadour, dame du palais de la Reine. Paris, Jean-Th. Hérissant, 1165, in-8.

(8) Le baron Jérôme Pichon possède un catalogue manuscrit de la bibliothèque de Madame de Pompadour, rédigé d'après ces cartes. Il est de format in-folio, relié en maroquin vert, et le savant président de la Société des Bibliophiles français y a inséré la note suivante qu'il nous à autorisé à reproduire, avec son obligeance ordinaire : « Ce catalogue n'est ni une copie de l'imprimé de 1765; ni la copie sur laquelle cet imprimé est fait. Il en diffère en quelques points, mentionnant certains ouvrages qui ne sont pas dans le catalogue imprimé (par exemple, le Théâtre des petits appartements sur vélin, page 119 ; les Contes de La Fontaine de 1722 et 1762, p.76 ; le Miroir des Princes, de Gilles de Rome, que j'ai eu, page 164, etc.). Le classement a été changé et rectifié dans l'imprimé. Quoique le nom de Madame de Pompadour ne soit pas précédé du mot feue, je crois que ce catalogue estimatif a été fait après son décès par M. de Marigny ou les gens d'affaires. M. de La Garde, dont les cartes ont étés copiées ici et ont manifestement servi à Hérissant pour la confection du catalogue de 1765, est l'abbé Philippe Bridard de La Garde, bibliothécaire de Madame de Pompadour (Voir à l'Arsenal le catalogue manuscrit de M. de Paulmy, art. des Lettres de Thérèse), homme d'infiniment d'esprit, si je le juge d'après ses charmantes Lettres de Thérèse, que Quérard trouve, très à tort, suivant moi, entachées de néologisme. Il est l'auteur des Annales amusantes, livre très rare que je ne connais pas, de quelques pièces de théâtre (Voir Paulmy), et d'autres ouvrages qu'on peut voir cités dans la France littéraire de Quérard. Et plus bas, revenant sur les Annales amusantes, le baron Pichon ajoute : Depuis, je les ai vues et lues à l'Arsenal, et c'est sur mon conseil, que Paul Lacroix les a reproduites en 1882, dans ses Chefs-d'œuvre inconnus (8ème volume).

(9) Bonnemet, ancien marchand de soie de la rue Saint-Denis, mourut vers 1771. Il achetait déjà à la vente de la comtesse de Verrue, en 1737, et à celle du comte d'Hoym, en 1788. Tout ce qu'il possédait, tout ce qui l'entourait, ses livres, ses meubles, jusqu'à son carrosse, était du goût le plus parfait. Ses meubles et curiosités furent vendus en 1771. Les livres allaient l’être en 1772, sur un catalogue dressé par Mérigot, lorsque le duc de La Vallière, qui avait été tenté par les reliures exquises de cette charmante collection, en fit l'acquisition en bloc. Encore aujourd'hui, quand on rencontre une vieille reliure (surtout doublée) parfaitement faite et conservée, de ce maroquin d'un bleu couleur du temps, dont nos pères ont gardé le secret, il est à parier que le livre figure dans le catalogue de Bonnemet. (Catalogue des livres rares et précieux de la bibliothèque de M. le baron Jérôme Pichon, préface, page VIII).

(10) Mélanges de Boisjourdain, tome III, page 452

Pour évocation conforme,
Bonne lecture...
Xavier

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