dimanche 11 avril 2010

Le Tartufe libertin ou le triomphe du vice (vers 1830). La bibliophilie libertine a-t-elle droit de cité ?



Préambule : Si vous n'avez pas 18 ans ferme, fermez immédiatement cette page et retournez vous coucher, demain il y a école et il est déjà tard ! Allez ouste !

Voilà bien un titre qui ne ferait certes pas grand honneur à Molière ! Il y a pourtant un Tartuffe dans l'histoire... même si celui-ci n'a pas les mêmes façons et qu'il ne porte qu'un seul f à son nom.


Il fallait pourtant bien pourtant que je vous présentasse (Yves ? présentasse ?? correct ?) cette petite rareté bibliographique à défaut d'être bibliophilique. Pourtant à mon sens, du bibliophile il y a sous ces collectionneurs de vives coquineries et autres curiosa officiellement baptisés ainsi pour l'occasion afin qu'on ne les reconnût point (Yves ? reconnût ?? correct ?).


De quoi est-il donc question ?


Voici l'objet du délit :

LE TARTUFE LIBERTIN, ou le triomphe du vice. A Cythère, chez le gardien du Temple.

Petit volume petit in-8 de 108 pages. Ouvrage agrémenté de 6 figures libres lithographiées et tirées hors texte sur papier vélin épais légèrement teinté.

Voilà bien une description sommaire me direz-vous ? C'est qu'on en sait guère plus...

D'après ce que j'ai pu trouver ici ou là dans les bibliographies et les documentations diverses accessibles en papier ou sur le net, je n'ai pu trouver qu'une date approximative d'édition donnée par quelques auteurs, à savoir... vers 1830. J'ai pu lire aussi que ce petit livre très "libre" voire carrément pornographique au sens où certains l'entendent, était de la main du divin marquis de Sade. Or apparemment, il n'en est rien.

Que nous disent les bibliographes modernes les plus avisés, Jean-Pierre Dutel par exemple (dans sa bibliographie des ouvrages érotiques publiés clandestinement en français entre 1650 et 1880, chez l'auteur, 2009) ?

J.-P. Dutel écrit, p. 313 de son manuel, sous le numéro A-1048 : "Edition publiée vers 1835. Elle est ornée de 6 lithographies dont une en frontispice. Petit roman obscène et anticlérical."

M. Dutel n'a vraisemblablement pas vu l'ouvrage ni encore moins eu entre les mains puisqu'il donne une collation en 107 pages et que l'ouvrage en compte en réalité 108. A moins que ce soit une coquille. Il cite les références suivantes : G.-L. III-1181. Enfer 776. Pia 1400.


Allons dans Pia, Les livres de l'Enfer du XVIe à nos jours (Fayard, 1998), à la page 1400 on lit donc : "Petit roman obscène et anticlérical, publié après 1830, puisqu'il y est question de personnages du règne de Louis-Philippe, et avant 1845, puisque sa destruction, pour outrages à la morale et aux bonnes moeurs, a été ordonnée par un arrêt de la cour d'assises de la Seine, rendu le 29 avril 1845 et inséré dans le moniteur du 9 juin 1846."

La B.N. en possède un exemplaire sous le numéro 776 en demi-maroquin rouge, plats papier marbré brun, dos orné d'une feuille de vigne dans chaque caisson, tranches peigne.

Nous avançons !

Cet ouvrage se retrouve donc tout naturellement parmi les ouvrages poursuivis et condamnés répertoriés dans le livre de Fernand Drujon (catalogue des ouvrages, écrits et dessins, de toute nature, poursuivis, supprimés ou condamnés depuis 1814 jusqu'à 1877... Paris, Rouveyre, 1879). Voyez ci-dessous reproduite la fiche établie pour ce livre par Fernand Drujon.



Fernand Drujon, qui a du servir de source à la fois à Pascal Pia et à Jean-Pierre Dutel (c'est ainsi... personne n'invente rien... tout le monde se recopie... ce n'est pas Jean-Paul qui me contredira... reste à recopier encore afin que tout le monde sache puisse que personne n'écoute... n'est-ce pas ?), donc je disais... Drujon indique un "Très-rare" que n'ont pas osé reprendre ses successeurs en bibliographie. Drujon indique également "six mauvaises lithographies érotiques". C'est certain, ce ne sont pas à priori des lithographies sorties du crayon gras de Deveria. Quant à dire qu'elles sont mauvaises... oui sans doute (je vous laisse juge). Drujon avait d'ailleurs du lui-même recopier sur Jules Gay qui nous dit à peu de choses près la même chose (Bibliographie des ouvrages relatifs à l'amour, aux femmes, an mariage, ...)

Que vous dire de plus ? Cherchons un peu à savoir si l'on trouve ce livres dans quelques dépôts publics. Une interrogation rapide sur "Le tartufe libertin" (champs titre) nous donne 3 réponses. L'exemplaire 776 de l'Enfer de la BNF. Un exemplaire à la BU de Lettres de Bordeaux Pressac (il s'agit en fait du reprint de 1996 fait par les Nouvelles éditions Séguier). Et 3 autres exemplaires de ce même reprint moderne à la B.N. (site Tolbiac). Ce qui nous fait un seul exemplaire ! Celui de l'Enfer. Afin de ne pas passer à côté d'un exemplaire référencé dans les catalogues en ligne sous le titre "Le Tartuffe libertin" avec deux "f" à Tartufe, j'ai essayé... rien. Il faudrait maintenant exploré les autres catalogues en ligne notamment le KVK, le NUC, etc. Je laisse ce soin à Martin qui fait cela beaucoup mieux que moi et pourra s'il le souhaite nous faire un bilan mondial de la localisation du "Tartufe libertin" de par ce vaste monde.

Inutile de dire qu'il n'y a actuellement aucun exemplaire en vente chez nos amis libraires dont le catalogue est accessible en ligne. Ce qui ne veut pas dire qu'un exemplaire ne se cache pas sous une pile de vieux bouquins au coin d'une bouquinerie du port de Sète (je la connais... c'est pour ça que j'en cause...)

A priori, Gérard Nordmann ne possédait pas cet ouvrage dans sa collection pourtant si riche. Et le Vicomte Kouyakov ? Et notre Raoul ?


Quid de l'exemplaire dont je vous parle ? J'ai hésité avant d'en faire l'acquisition (aux enchères), l'exemplaire n'est, en effet, pas de la première jeunesse, et on sent bien qu'il a servi... le bougre (c'est le cas de le dire) ! Il a à la fois quelques petits atouts et quelques défauts... Atout : il est relié sur brochure, non rogné, à toutes marges donc. La reliure est une demi-toile percaline de la fin du XIXe siècle, sans charme, simple protection. Défauts maintenant : Ils sont assez lourds. L'ouvrage est bien complet des 6 lithographies libres... enfin presque. Le frontispice est en partie déchiré avec un manque dans le tiers inférieur, la lithographie a été doublée assez grossièrement au moment de la reliure. Je pense que c'est un exemplaire qui a erré broché entre différentes mains (pas toujours très propres d'ailleurs) jusque vers 1880, moment de la reliure qui l'a définitivement sauvé. Les autres lithographies sont en bon état. Le texte est imprimé sur un papier vergé chiffon de bonne qualité, avec peu de rousseurs, voire pas du tout, seulement l'exemplaire montre de nombreux signes de manipulations (traces de doigts, petites déchirures marginales, mouillures, salissures, etc.). N'oublions pas qu'en 1835, ni Playboy, ni Penthouse n'existaient pour former de belle manière la jeunesse laborieuse. Donc forcément...

Un exemplaire en état très moyen donc, avec un frontispice endommagé. Il faut faire avec. Livre que je ne reverrai pas de si tôt me suis-je dis, ce qui aide à oublier les tares.


De l'intérêt du texte maintenant ? Je vous en présente quelques extraits bien choisis mais disons-le tout de suite, les pages se suivent et se ressemblent... Pour le moment, je vous avouerais que je n'ai fais qu'en lire quelques passages, je me réserve un moment calme et un endroit ombragé pour en parfaire la lecture in extenso. Evidemment, ce texte reste accessible grâce à la réédition de 1996 des Nouvelles Editions Séguier (8 euros sur Vialibri).



Voilà, je vous laisse en de bonnes mains si je puis dire.

Ah si, encore une chose, le saviez-vous ? Sans vouloir remplacer notre ami d'outre Atlantique Pierre Bouillon et ses savantes recherches sur les mots de notre bonne vieille langue française, savez-vous d'où vient le verbe argotique "déconner" ? Vous donnez votre langue au chat ?

"Il dévorait des yeux la belle fouteuse, et il tira ainsi trois coups sans déconner." in Le Tartuffe libertin ou le triomphe du vice.

Mais il faut tout de même rendre à César ce qui ...

"Sylvestre, furieux, déconne ; il fait saisir Justine par ses deux filles de garde […]" (Sade, La Nouvelle Justine, Chapitre X)

Ne dites pas : « Il tire trois coups sans déconner. » Dites : « Il a le caractère très ferme. » — — (Pierre Louÿs, Manuel de civilité pour les petites filles à l’usage des maisons d’éducation, 1926.)

Sacré Sade ! Sacré Louÿs ! et sacré Anonyme ! puisqu'on ne sait visiblement toujours pas à qui imputé ce Tartufe libertin...

Étonnant non ?


J'espère ne pas friser la cour d'assises avec ce billet libertin. Dans le pire des cas je compte sur la sollicitude des bibliophiles grivois pour venir m'apporter des oranges à Noël.

Bonne soirée,
Bertrand

LinkWithin

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...