dimanche 11 décembre 2011

Les très-riches catalogues d’Emile Nourry

La présentation de Bertrand consacrée au libraire bourguignon Émile Nourry, qui tenait son échoppe au 62 de la rue des Écoles à Paris, m’a donné envie de farfouiller dans mon stock de vieux catalogues pour y retrouver un, puis deux, puis trois exemplaires provenant de cette librairie.

Dis-moi ce que tu vends, je te dirais qui tu hais, disait Victor Hugo à son bouquiniste de quartier qui ne proposait justement aucun livre de Victor Hugo. Je crois aussi que feuilleter un catalogue de librairie donne une bonne idée du caractère, des goûts, voire des opinions politiques du propriétaire des lieux et qu’une sorte d’alchimie s’opère nécessairement entre le client-bibliophile et le bibliophile-marchand. Un livre doit trouver son public me dit toujours un ami libraire en Bretagne. J’ajouterais : un bibliophile doit trouver sa librairie.

Fig 1 Catalogue n°222


Fig 2 Présentation du Roman de la Rose en frontispice.


Je crois que j’aurais aimé rentrer dans la boutique du 62 rue des Écoles, tant les ouvrages qu’il présente me sont familiers.

Le bonhomme Nourry était un savant érudit, écrivain à ses heures, et ses catalogues sont à son image. Les notices sont généreuses et documentées, chose assez rare pour cette période où les libraires présentaient dans l’ensemble des listes de livres plutôt arides. Ici nous avons, pour chaque entrée, d’abord un paragraphe de descriptio materiae qui comprend une collation détaillée et une information sur la reliure, le prix, puis en plus petits caractères quelques lignes de présentation de l’ouvrage ou de l’auteur accompagné d’un avis sur l’intérêt de l’exemplaire : n° 289 « Regnault d’Orléans sieur de Since, Observations sur diverses choses remarquées sur l’Etat, impression de Jean Bourrelier, 1597. Première impression d’un livre à Vannes (Morbihan) Très rare. »

Très rare c’est le commentaire qui revient le plus souvent sous la plume d’Emile Nourry. Il aimait cultiver la rareté. Dans le catalogue des poètes français (n°222 d’avril 1929), je remarque un exemplaire du Divisionensis Assonae Sequanorum Dicastae Poemata (Lyon, Pierre Fradin 1558) du poète Jean Girard, le Chantre d’Auxonne, dont la gloire immortelle n’a pas dépassé Marsanay la Côte. J’avais consacré une notice à ce poète il y a quelques années, le catalogue nous révèle que cet ouvrage est « très rare, orné d’un portait de l’auteur de pleine page, répété deux fois et de deux figures sur bois ». J’aurais bien aimé voir la tête de Jean Girard, si vous avez ce livre chez vous, téléphonez-moi. Je l’achète !

Les livres qui ne sont pas mentionnés comme très rares sont qualifiés d’édition originale d’une grande rareté, comme les Etrenes de poezie fransoeze an vers mesurés de J.A. de Baîf (Paris, Denys du Val, 1574) où l’on apprend par la notice que cet œuvre est à la fois une tentative de réforme de l’orthographe et de la prosodie, l’auteur abandonnant la rime pour la phrase métrée à l’imitation de la poésie grecque. D’où « les Bezone et jors d’Eziode, les vers dores de Pitagoras, Ansenemans de Fakilides, Ansenemans de Naumace ». (Z’avaient pas encore Word correcteur d’orthographe).

Parfois Emile Nourry exulte et il laisse échapper un « rarissime édition » pour le Mistère de la Conception, en vers français de Jean Michel imprimé par Jean Trepperel et vendu par Alain Lotrian, 1540 (6.500 fr quand même …). Les gothiques français, voilà le truc de la libraire, le produit d’appel, le gothique en tête de gondole, on les vend par 3 pour le prix de deux. Tout doit disparaitre car il ne s’agit pas de présenter les mêmes ouvrages dans le catalogue suivant. Les 635 numéros du catalogue n° 219 de 1929 ne se retrouvent pas dans le catalogue n° 222 d’Avril 1929, j’ai vérifié. Oui, vous comptez bien, il y a 4 numéros qui séparent le premier opus de 1929 et celui d’Avril, ce qui fait un catalogue par mois. Celui d’Avril ayant 731 entrées, cela vous donne une idée de l’affluence qui devait régner dans la boutique d’Emile. Un peu comme à la Fnac le 24 décembre !!

Fig 3 Le Mistère de la Conception


Fig 4 Les Œuvres de Scevole de Sainte Marthe.


Ce qui fait l’intérêt de conserver ces catalogues, outre la mine d’informations qu’ils contiennent c’est la richesse de l’iconographie. Émile aime partager sa passion et montrer ses trésors (il parait que c’est ce qui distingue le bibliophile du bibliomane selon Umberto Eco). Alors il donne à rêver devant les gravures des titres et des colophons, il décore ses pages de bois de Vérard, de lettrines figurées, de portraits encadrés….

Fig 5 Bouchet - Labyrinthe de Fortune – Paris 1525.


Fig 6 Controverses des sexes masculin et féminin 1537


Fig 7 Alain Chartier – 1526


Fig 8 Un bois de Guillaume Eustache


Fig 9 L’Arte Notariatus, une impression de Claude Nourry, homonyme de notre libraire.


Va falloir qu’on invente d’urgence la machine à remonter le temps, c’est que j’ai mes courses de Noël à faire, moi !!

Bonne nuit,
Textor

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