mardi 3 avril 2012

Gabriel Symeoni, le courtisan polygraphe (1553)


Parvenir aux plus hautes fonctions de l'État n’est pas chose facile, j’en parlais encore l’autre jour avec Philippe Gandillet [NDLR : Quel homme !]. Cela requiert du talent, de la volonté, une certaine persévérance, et beaucoup de compromission teintée d’une dose de hasard. C’est le hasard qui dut manquer au personnage qui va nous occuper aujourd'hui, car pour le reste, on ne peut lui reprocher ni son opiniâtreté ni un certain talent pour retenir l’attention des Princes. 

Parfaite illustration de l’humaniste de la Renaissance, à la fois poète, archéologue, historien, astrologue. Il maniait avec la même facilité la langue italienne, française, latine. Nous avions déjà eu l’occasion d’évoquer brièvement le personnage à propos d’un livre d’emblèmes ; Il s’agit du florentin Gabriel Symeoni (1509-1575).

Fig 1 Portrait du poète.


Notre ambitieux est bien représentatif de son époque et des liens culturels et politiques qui unissaient l'Italie et la France au XVIe siècle. De passage en France en tant qu'accompagnateur de l'ambassadeur Baltasar Carducci auprès de François Ier au moment du retour des Médicis à Florence (1530), il décide de rester à Paris pour parfaire ses études et s'engage dans tous les domaines du savoir (poésie, traduction, érudition, archéologie, histoire, astrologie) et dans tous les milieux où il espère se mettre en lumière, changeant à plusieurs reprises de protecteur et de pays, signant de nombreuses publications et laissant plusieurs ouvrages manuscrits. Son coté courtisan-séducteur est parfaitement illustré par un petit ouvrage comme je les aime : Insolite, assez rare, pas cher. (Comme c’est souvent le cas pour les livres du XVIe siècle : étant trop insolites, et relativement inconnus, ils sont donc parfaitement invendables, faute de marché !) [NDLR : sourire incrédule...]. Le titre du recueil est « Épitome de l’origine et succession de la duché de Ferrare ».(1) Titre très mal choisi, qui ne reflète pas son contenu. L’auteur aurait mieux fait de s’adresser à une agence de communication pour trouver le titre, ou de me demander, je lui aurais conseillé de prendre : « Comment j’ai lutiné Diane de Poitiers au Château d’Anet » ou bien « La lune de la duchesse de Valentinois » [NDLR : j'ai mis en gras ces titres particulièrement plaisants et bien choisis], bref quelque chose de plus accrocheur …

Fig 2 Page de Titre.


Fig 3 « L’arbre de la généalogie d’Est », qui manque souvent, notamment à l’exemplaire Barbier-Mueller (2) [NDLR : ça mine de rien ça fait mal comme commentaire ! :-)].


Publié pour la première fois (et la dernière !) en 1553, l’ouvrage réunit différentes pièces de poésie, des pièces historiques et généalogiques sur les Princes des maisons de Ferrare, de Mantoue, de Venise et de Milan, des épitres, des pronostications astrologiques. Les vingt-trois lettres adressées à divers personnages, tels que le duc de Guise, Alciat, Saint-Gelais, d’Urfé, etc., contiennent des détails fort intéressants pour l'histoire du XVIe siècle.

Dès son premier voyage en France, la brillante cour du dernier des roi-chevaliers enthousiasme Gabriel Symeoni qui cherche alors à s’attirer les faveurs du Prince en adressant des poèmes à la duchesse d’Etampes et une épitre au Roi. Mais les protecteurs ne se bousculent pas. Déçu, il tente alors sa chance à la Cour d’Angleterre, sans plus de succès, puis à celle de Florence auprès de Cosme Ier, mais son tempérament inquiet s’accorde mal avec le conformisme intellectuel qui accompagne la révolution médicéenne. Il quitte la cour de Florence pour Rome, puis pour Ravenne, puis Venise. A chaque fois, malgré les compliments et les courbettes, il ne parvient pas à décrocher les faveurs des grands et à recueillir les bénéfices d’une charge à la hauteur de son immense talent. C’est sans doute en souvenir de cette errance perpétuelle (il finira par se fixer à la Cour du Duc de Savoie) qu’il écrit cette épitre VII : « A un sien amy qui ne se pouvait arrêter en un lieu »

Fig 4 Espitre à un sien amy …


D’ailleurs, je me demande si la plupart des lettres adressées à un pseudo-ami (il n’en avait pas !) ne seraient pas écrites à lui-même... Il faudrait faire un colloque sur le sujet. Preuve en est cette autre épitre « A un sien amy qui avait espousé une femme de moindre condition que luy », qui renvoie à son désir de toujours s’élever au dessus de sa propre condition. (Néanmoins son conseil final est de garder quand même la minette si elle est minoutte.)

Fig 5 Epitre XIII La belle Diane de Poitiers, alias Duchesse de Valentinois, est le sujet de plusieurs pièces.


On sait que cette jeune veuve avait tapé dans l’œil d’Henri II qui la couvrait de faveur. Elle avait fait construire le château d’Anet et appelé des artistes comme Philibert Delorme, Pontus du Thyard, Jacques de Vintimille et Gabriel Symeoni pour élaborer le programme décoratif. Elle appréciait chez ce dernier sa grande culture d’antiquaire et sa science consommée des emblèmes. C’est dans cette période (Le château d’Anet avait été achevé en 1552, l’année précédant cette publication) que celui-ci écrivit un sonnet à la duchesse de Valentinois, trois épigrammes sur la fontaine d’Anet et vingt stanze sur « la propriété et vertu de la lune », le tout en italien. Il faut se rappeler que le chiffre de Diane, comme celui d’Henri II, est figuré par trois croissants de lune entrecroisés. [NDLR : d'où la lune... j'avais cru... mais non... :-)]

Fig 6 La Fontaine d’Anet parle …


Fig 7 La Propriété et vertu de la Lune tant en ciel que à la mer et en terre…


Fig 8 Sonnet par lequel il convie Apollo…


Comme il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier, Symeoni se fait connaitre aussi par des pronostications astronomiques qui lui vaudront les faveurs de Catherine de Medicis, une fois la belle Diane déchue. Il déterminera même la meilleure date du couronnement de Charles IX, trop tard, malheureusement. (3) Ce petit ouvrage a été publié par Guillaume Cavellat qui tenait sa boutique à l’enseigne de la Poulle Grasse. (Quel libraire aujourd’hui espérerait vendre le moindre livre avec une adresse pareille !) [NDLR : s'abstenir de tout commentaire intra est parfois sage]. Cavellat, actif entre 1547 et 1563, utilisait le matériel typographique de Benoit Prévost ; il a produit quelques 150 éditions, toutes au format in-octavo, souvent illustrées, principalement dans le domaine des mathématiques, de l'astronomie et de la cosmographie. Le présent florilège constitue en quelque sorte une exception dans sa politique éditoriale.

Fig 9 Une page magnifiquement imprimée par Guillaume Cavellat.


Gabriel Symeoni, esprit éclectique, ne se résume pas dans un article de deux pages. Il faudrait encore évoquer ses travaux d’archéologue, ses relations avec l’antiquaire Guillaume du Choul (dont il fera la traduction en italien de la Castramétation et des Bains des Romains) ses recherches sur le site historique de Gergovie qu’il est le premier à situer dans la Limagne d’Auvergne. Dommage que notre humaniste n’ait pas eu le temps de passer par Alise-Sainte- Reine, il aurait pu mettre un terme à la polémique sur le lieu du siège d’Alésia… ! [NDLR : on l'attend ! :-)].

Bonne journée,
Textor

(1) In-8 de 84 feuillets signés a-k8, i4, chiffrés (1) 2-84. Grande planche dépliante (334x185 mm). Ph.Renouard (Fasc. Cavellat 69) récence 21 exemplaires de par le Monde.
(2) Voir Ma Bibliothèque Poétique, collection Barbier-Muller n°334.
(3) La reine mère ne retint pas la date car la cérémonie était déjà arrêtée quand le thème fut reçu. Symeoni proposait le 16 juin à midi, le sacre de Charles IX se déroula le 15 mai 1561. On sait ce qu’il en advint

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