lundi 30 janvier 2012

Renaud de Nimègue, imprimeur à Venise (1477-1496).

Les premiers imprimeurs étaient des artistes qui rivalisèrent d’astuces et d’inventivité pour se démarquer de leurs cncurrents, ils nous ont laissé quelques unes des plus belles pages qui aient été jamais imprimés et on ne se lasse jamais de les admirer. Parmi toute la production incunable, Venise pourrait recevoir le Lion d’Or pour l’ensemble de son œuvre. Le génie artistique italien, me direz-vous. Pourtant les premiers imprimeurs de Venise n’étaient pas nés dans la péninsule, ils venaient d’Allemagne, évidemment, mais aussi de France, et même des Pays Bas.

Fig 1 La page au grand a bleu.


C’est en 1469, un 18 septembre très exactement, sur le coup de seize heures trente, que les frères de Spire, Jean et Wendelin, tudesques de leur état, commencèrent l’impression d’une édition de l’Histoire Naturelle de Pline l’ancien (1). Jean de Spire venait d’obtenir le privilège exclusif du Doge Christofo Moro pour toute la République de Venise. Mais il ne le conserva pas longtemps car il mourut la même année, laissant une veuve éplorée, la belle Donna Paula, fille du peintre Antonello da Messina, dont nous reparlerons plus loin.

La Sérénissime était alors au sommet de sa gloire et de son expansion territoriale, il importait au Doge qu’elle brille aussi sur le plan intellectuel. Avec la perte du privilège obtenu par Jean de Spire, la voie était libre pour d’autres entreprises : Nicolas Jenson, originaire de Champagne, espion en rupture de ban, lança alors sa société de typographie, appelée à une belle expansion grâce à ses lettres rondes, un romain d’une belle élégance. Nicolas Jenson s’était associé pour cela avec Jean de Cologne qui épousa la belle Donna Paula, la veuve éplorée [Ndlr : c'est ce qu'on dit...] de Jean de Spire .

Mais c’est un imprimeur néerlandais, moins connu, qui va retenir notre attention ce soir, car son travail n’a rien à envier à celui de ses illustres prédécesseurs : Il s’agit de Renaud de Nimègue, autrement appelé, au fil des éditions, Rinaldo de Novimagio, Rainald von Nemwegeu, Raynaldus de Novimagio, etc … (Le catalogue intégré recense une bonne quinzaine de transcriptions différentes de son nom). Il était originaire de la capitale de l’ancien duché de Gueldre.

Fig 2 Colophon de Renaud de Nimègue sur une édition de Pline.


Fig 2bis Le livre XII de l’Histoire Naturelle de Pline, 9ème édition incunable – 1483.


Son activité à Venise commence en 1477 quand il s’associe avec l’allemand Theodore von Reynsberg. Ils impriment alors ensemble, en lettres gothiques, des classiques de la théologie scolastique, tel Paul Venetus, qui faisait fureur en ce dernier quart du XVème siècle. Les deux associés choisirent parmi ses nombreux écrits un de ceux qui n’avait pas encore été reproduit par la presse, son commentaire sur les deux derniers livres d’Aristote. Le succès fut immédiat. Ils enchaînèrent la même année avec les Commentaires de Saint Bonaventure sur les Sentences de Pierre Lombard. A partir de 1479 le nom de Renaud apparait seul sur les colophons bien qu’il continue à utiliser les mêmes caractères gothiques, laissant supposer un décès prématuré de son associé.

On ignore quelle fut sa formation d’origine et sa date d’arrivée à Venise mais son statut d’imprimeur est attesté par son contrat de mariage avec la belle Donna Paula, veuve éplorée [Ndlr : je n'en crois pas un mot] des imprimeurs Jean de Spire et Jean de Cologne cités précédemment. Donna Paula est un peu la Charlotte Guillard de la Lagune, à ceci près qu’elle se remariait trop rapidement pour avoir le temps d’imprimer sous son nom ; elle mourut en 1480 en laissant à Renaud et à ses trois enfants une fortune considérable évaluée à cinq cents Ducats sous forme d’argent, de matériel et de livres (tous incunables !) (2).

Renaud de Nimègue fut un imprimeur assez productif avec des périodes d’intense activité suivies par des interruptions plus ou moins longues. En tout, quarante et une éditions ont été recensées par le World Catalogue, dont vingt cinq pour la période 1477-1483, quatre en 1486, une reprise pendant les années 1489-91 avec cinq éditions, puis un arrêt complet de 1492 à 1495. Ses dernières productions datent de 1496 mais on ne connait pas la date de son décès. Il est possible que l’absence de publications corresponde à des périodes où il préférait fondre et vendre des types.

En effet il s’est intéressé assez tôt à la fabrication de nouvelle police de caractères. Douze en tout, dont sept polices gothiques, trois romaines, une grecque et une de caractères de musique. Il fut prompt à suivre les traces de Nicolas Jenson puisqu’il employa des caractères romains pour la première fois dans son édition de Virgile dès le 27 septembre 1482, puis dans une édition des Satyres de Perse, et pour la troisième fois dans le Pline de 1483 qui sert à illustrer cet article.

« Quand on voit surtout le degré de perfection qu’il est parvenu à donner à ses nombreuses productions, on ne peut méconnaitre qu’il n’ait été réellement un artiste de mérite… Ses impressions ne sont dépourvues ni de goût, ni d’une certaine élégance. Le papier qu’il employait est d’une qualité supérieur, il a cette épaisseur et cette solidité que savaient lui donner les fabriques déjà célèbres du Frioul, de Brescia ou de Bergame, où il s’approvisionnait sans doute; les caractères dénotent un graveur habile, et le tirage parait parfaitement égal » (3)

Et il est vrai que la tonalité générale du caractère est assez régulière, d’un aspect reposant pour l’œil et d’une facilité de lecture qui tranche avec les lettres gothiques. Il donne à ses minuscules une certaine ampleur, elles n’ont plus cette raideur uniforme des premières lettres latines, ou l’aspect grêle des lettres des frères de Spire ; il parvient à jouer des pleins et des déliés ; un style de police qui n’est pas sans rappeler celui de Nicolas Jenson.

Renaud de Nimègue laissait encore en blanc, au début des paragraphes, l’espace que les enlumineurs devaient agrémenter de lettrines colorées. C’est un autre imprimeur vénitien, Erhardt Ratdolt, qui imprima la première lettre ornée.

Fig 3 Le tirage parait parfaitement égal.


Fig 4 Gros plan sur les minuscules.


Notre imprimeur affectionnait particulièrement le format in-folio et grand-in-folio mais on trouve aussi quelques éditions au format in-quarto et même in-octavo. Toutes se distinguent par des « marges plantureuses » [Ndlr : plenitas plenitatis...], comme dit Van der Mersch, (il est vrai que dans le cas contraire, je ne me serais pas intéressé à cet imprimeur !).

Les thèmes abordés concernent essentiellement la théologie et les œuvres des auteurs classiques romains, mais on trouve aussi des ouvrages scientifiques, comme ce Pline, et des livres de médecine. Comme le feront un plus tard les Alde, les Bade et les Estienne, Renaud de Nimègue se faisait un point d’honneur à livrer au public des éditions exemptes de fautes. Plusieurs correcteurs étaient attachés à son atelier pour préparer les textes et revoir les épreuves.

Fig 5 Malgré le travail préalable des correcteurs, il a fallu ajouter dans cette édition de Pline une page d’errata.


Fig 6 Livre 37 du Pline de Rinaldo de Novimagio.


Ne trouvez-vous pas que Renaud de Nimègue mériterait un peu plus de notoriété ? Personne n’avait écrit sur lui quand Polydore-Charles Van der Meersch lui consacra un chapitre entier de ses recherches sur les imprimeurs belges. Encore avait-il fallu faire des concessions au champ de l’étude puisque notre imprimeur n’était pas belge ! C’était en 1844… Depuis lors, à ma connaissance, il n’y a pas eu d’autre étude de fond sur cet imprimeur.

Bonne soirée,
Textor

(1) « A di 18 septembrio fo scomenzà a Venisa a stampar libri: inventor un maistro zuane de Spira, todescho, et Stampo le epistole di Tulliu, et Plinio.» ( Sanudo, Diaro)
(2) On dit que L’annonciation par Antonello da Messina, du Musée de Palerme, serait un portrait de Paula.
(3) Sur Renaud de Nimègue voir la notice de Polydore-Charles Van der Meersch « Recherches sur la vie et les travaux de quelques imprimeurs belges établis à l'étranger pendant les XV et XVI siècles ». L. Hebbelynck 1844.

vendredi 27 janvier 2012

Dans quelle position aimez-vous lire ? ... ou de la bibliophilie dans l'espace.


Il n'est jamais très aisé de lire les gros volumes...
Les Lire au sol en toute liberté de mouvement semble une solution adéquate.


On parle ici presque exclusivement de l'amour des beaux livres. Mais un beau livre se lit ! Eh oui ! Il ne faudrait pas l'oublier. Mais attention, j'ose dire qu'un beau livre ne se lit pas tout à fait comme les autres. Un beau livre se savoure, doit faire l'objet de toutes nos attentions, de toutes les précautions. Un beau livre est souvent incommode à manipuler de par sa taille, son poids, la fragilité de la reliure, il faut alors ruser pour pouvoir en jouir en toute sérénité.

Alors je vous le demande, comment lisez-vous vos beaux livres ? Je veux dire avez-vous une pièce fétiche ? un moment dans la journée ? Comme cette demoiselle d'antan avez-vous des manies vestimentaires associées à vos reading habits ? Que faites-vous toujours ? Que ne ferez-vous jamais ? Les bibliophiles et les bibliomanes sont à votre écoute. Les commentaires discrets sont assurés par le voile pudique de l'anonyme ou du pseudonyme, encouragé pour l'occasion.

Bonne soirée,
Bertrand Bibliomane moderne

jeudi 26 janvier 2012

Le nez dans les vieilles dentelles !


Roulette anonyme de la fin du XIXe siècle...


Une reliure plein veau glacé noir de belle facture exécutée probablement entre 1883 et 1885. Elle n'est pas signée. C'est étrange. Ceux qui ont du talent ne signent pas toujours leurs œuvres tandis que bien d'autres qui n'en n'ont aucun signent en lettres capitales. Comme je disais dernièrement à un ami bibliophilosophe Ego est homo erectus quam curiosa pulchra femina prefere (*). Qui dira le contraire ?

Bref, voici pour ceux que cela amuse et qui ont le temps (vous savez cette denrée précieuse qui ne manque qu'à ceux qui n'en n'ont pas), une belle vieille dentelle dorée ou plus exactement une roulette posée au fer chaud à l'or en encadrement intérieur de ladite reliure non signée.

A vos reliures Mesdames ! A vos reliures Messieurs ! Ayez l’œil agile et leste ! Observez, comparez, et dites-nous si cette roulette ne vous fait pas penser à une autre ou mieux si vous ne la retrouvez par chez un relieur qui lui aurait signé son chef d’œuvre par manque d'humilité bibliopégistique.

Bonne soirée,
Bertrand Bibliomane moderne


(*) c'est du macaronique ... enfin presque... qu'on pourrait traduire ainsi : A l'orgueil de l'homme il faut préférer l'amour des femmes.

mercredi 25 janvier 2012

Victor Hugo quand tu nous tiens ! ou Notre-Dame de Paris pour bibliophile exigeant.



Voici un bien beau livre ! Que dire ? S'incliner. S'extasier ? Se lamenter peut-être ? S'enthousiasmer ? Appeler son banquier ? Que sais-je d'autre encore.

Ce n'est pas tous les jours qu'on croise, ne serait-ce que le temps d'un soulagement physiologique, une aussi belle Esmeralda parée de si beaux atours. Très séduisante Esméralda ! Trop peut-être.

Comme l'indique l'excellente fiche bibliographique (en ligne) de ce libraire français, Victor Hugo commence la rédaction de Notre-Dame de Paris le 1er décembre 1830 et la termine le 15 janvier 1831. Un mois et demi ! Un mois et demi pour écrire un chef d'oeuvre ! Qui dit mieux ? Publié le 16 mars suivant, le succès fut immédiat et enthousiaste ; ainsi Théophile Gautier, Jules Michelet et Eugène Sue ne tariront pas d'éloge envers ce monument.

Que dire de cet exemplaire hors norme ? Qu'il a figuré au catalogue n°42 de la Librairie Pierre Berès. Qu'il s'agit d'un des "très rares" exemplaires sans mention d'édition. Qu'il a été parfaitement établi en plein maroquin havane par Thibaron et Joly, deux belles mains de la reliure d'art du XIXe siècle (vers 1863). Qu'il a été truffé d'une belle lettre de Victor Hugo en rapport avec l'ouvrage. Qu'il est magnifique !

A sa décharge on dira qu'il ne peut pas se targuer d'être en reliure de l'époque. Le libraire indiquant donc tout naturellement "Reliures du XIXe siècle". La différence a son importance malgré tout.

Son prix ? (l'exceptionnel a-t-il un prix ?) : 30.000 euros (2011). Je n'ai pas regardé à quel prix il avait été proposé par P. B. Je vous laisse chercher cette information. Le catalogue n°42 P. B. remonte déjà à quelque temps...

Je vous laisse lire cette fiche bien faite pour un livre bien fait. Parfois je me dis que j'ai eu tort d'acheter une maison pour le prix de cinq EO bien habillées et bien truffées de "mon toto". Et puis j'oublie...

Bonne soirée,
Bertrand Bibliomane moderne

lundi 23 janvier 2012

Si vous deviez glisser un livre dans le tiroir de votre table de nuit, quel serait-il ? Le Tableau de la Mort de Caracciolli (1765).



Si vous deviez glisser un livre dans le tiroir de votre table de nuit, quel serait-il ? Mais peut-être en avez-vois déjà un ? Je ne veux pas dire par là un livre qu'on prend un jour par toquade et puis qu'on change une fois lu. Non, je veux dire un livre qui vous accompagne soirées après soirées sur des années, une vie peut-être même ! Croyez-vous cela tout simplement possible d'ailleurs ? Peut-on s'enticher d'un livre, un seul, au point d'en faire son bréviaire ?

Autant vous le dire tout de suite, ce billet n'est pas anodin, je dirais même qu'il est presque thérapeutique (si un médecin spécialiste des névroses bibliophiliques nous lit...). Je m'explique. J'ai trouvé LE livre qui m'accompagnera un bon bout de chemin je pense, peut-être même jusqu'à l"heure du trépas (je sens déjà d'ici l'assemblée s'émouvoir devant autant de sombritude noircissique). De quoi s'agit-il ? Deviendrait-il fou ?

Tout le monde vous dira que pour bien vivre il faut savoir bien mourir. C'est un axiome valable depuis les temps les plus reculés et qui vraisemblablement le restera ad vitam aeternam. Mais voilà, justement, la vie n'est pas éternelle...

Le livre qui vient de trouver place dans mon chevet est de ces livres qui vous aident à bien mourir, ou tout au moins, qui vous aident à mieux comprendre l'absurdité de la mort et surtout vous détache par mille conseils savants, de l'absurdité de la vie. Quelle grande chose ! Savoir cela serait le plus beau présent à faire à toute personne sentant sa fin prochaine. Encore faut-il la prévoir ! la subodorer ! la devancer même ! Alors ? Alors lisez plutôt !

Le Tableau de la Mort, par l'auteur de la Jouissance de soi-même. Nouvelle édition, revue, augmentée & corrigée. Par un auteur anonyme que tout le monde connait puisqu'il se cache tout en se dévoilant en proclamant la paternité d'un autre ouvrage aussi bien connu à cette époque. Ouvrage en un seul volume (c'est suffisant pour convenir à tous les types de tables de nuit...), de format in-12, imprimé et vendu on ne sait trop où mais portant sur son titre l'adresse suivante : "A Francfort, en foire et chez J. F. Bassompierre, libraire à Liège." L'édition que je vous présente portant la date de 1765 (la première édition de cet ouvrage date de 1760, chez les mêmes). Il comprend un feuillet de titre imprimé en noir, une Préface paginée (i) à X, une Table des chapitres contenus dans l'ouvrage (2 pages non chiffrées) et 234 pages de texte chiffrées.

Le Tableau de la Mort ! Quel titre ! On connaissait le Tableau de la Croix (déjà pas très réjouissant), le Tableau de l'Amour (plus volage), le Tableau des Riches Inventions (instructif), le Tableau des Merveilles du Monde (forcément merveilleux), le Tableau du bonheur domestique (hautement improbable), etc., etc., ne manquait que le Tableau de la Mort, le voici !

Son auteur ? Louis-Antoine Caracciolli, le marquis de Caracciolli pour être exact. Louis-Antoine est né, comme son nom ne l'indique pas, à Paris en 1719. Il était issu de la noble branche cadette de la Maison Napolitaine. On sait qu'il entra chez les Oratoriens (ça n'aide pas à avoir le cerveau libertaire) en 1739 et qu'il séjourna ensuite quelques temps en Pologne où il fit la connaissance du Prince Rzewusky. Il revint ensuite à Paris où il produisit de nombreux ouvrages qui lui assurèrent une subsistance honorable. Cependant, ruiné par la Révolution, la Convention lui octroya une pension de 2000 livres en 1793. Il avait un goût et une assurance pour les belles-lettres. On lit ici ou là qu'il était gai, vif d'esprit et qu'il avait le talent d'imiter nombre de personnes par la voix ou le geste. Il avait du goût pour les voyages ce qui l'amena à visiter la patrie de ses ancêtres. Il fut accueilli de bonne grâce dans tous les cercles littéraires et mondains où il se présenta. Il n'avait pas de fortune et c'est sa plume féconde seule qui le nourrit suffisamment. Il mourut à Paris en 1803 ne laissant, lit-on, que 24 francs pour tout héritage, à son fidèle domestique. Une vie consacrée à la polygraphie impécunieuse quand tant d'autres récoltaient des lauriers et des pièces d'or pour quelques vers jetés sur le papier ! Le monde n'est-il pas injuste ? Ce qu'il faut retenir de la plupart des textes de Caracciolli, c'est qu'ils sont écrits avec simplicité et qu'ils se lisent encore aujourd'hui, plus de deux siècles plus tard, avec facilité et plaisir. Il faut retenir aussi, à sa décharge, que la plupart des anecdotes qui fourmillent dans ses ouvrages sont inventées à plaisir, et qu'il est difficile d'y voir la vérité historique là où il serait plaisant pourtant de la rencontrer. Ainsi les Lettres intéressantes du Pape Clément XIV, prétendument traduites du latin et de l'italien, ne sont en réalité qu'une invention de toute pièce sortie de son imagination fertile. La lecture de ces fausses lettres n'en n'est pas moins passionnante ! Il en va ainsi de plusieurs autres de ses ouvrages. Néanmoins, certains, dont celui qui nous occupe ce soir, le Tableau de la Mort, sont remplis d'une métaphysique naturellement et simplement exposée au lecteur, sans travestissement, et qui, c'est le cas ici, sont d'un intérêt supérieur. Nous allons le voir ensemble.

De quoi traite ce livre le Tableau de la Mort ? Voici la liste des chapitres : Qu'est-ce que la mort ? - Les Suites de la Mort - Le Souvenir de la Mort - L'oubli de la Mort - Du Temps - De l'Eternité - La Préparation à la Mort - La Maladie - Les Terreurs de la Mort - Les Consolations de la Mort - Le Sommeil - L’Immortalité des Héros qui n'ont pas le Ciel pour objet, est une véritable Mort - La Mort des Justes est une véritable immortalité - Des Testaments - Des Enterrements - De la Résurrection - Des Apparitions. Et pour finir, un Dialogue entre un Mort et un Vivant.

Le programme est bien complet ! Que manque-t-il ? De l'amour et de la Mort peut-être ? Mais serait-ce là un propos digne d'un ancien oratorien ? Je ne sais pas. Quoi qu'il en soit ce livre nous emmène aux confins du réel et du spirituel, de la réalité de "cette corruption qui doit consumer nos chairs, carrier nos os, & nous rendre autant de squelettes" à cette immatérialité d'un autre monde qui doit nous faire accepter ce passage difficile et définitif.

Caracciolli écrit : "Il y a longtemps que, frappé des idées de la Mort, je désire la peindre aux yeux du Public, telle que je la conçois. Souvent on se rassure sur un évènement dont on craint les suites, lorsqu'on s'en entretient avec d'autres. Je souhaite que mes Lecteurs (supposé qu'il s'en trouve d'assez courageux pour s'occuper des effrayantes vérités que je traite), n'apperçoivent dans mes sentiments que des opinions toutes semblables à celles que la liberté des Ecoles permet d'enseigner. La Mort, dans ce Tableau que j'en ébauche, est envisagée métaphysiquement ; de sorte que cet ouvrage ne parait qu'une conférence de la Conversation avec soi-même, & de la Jouissance de soi-même, deux différents livres qui ont précédé celui-ci. Si je n'avais en vue que le désir de plaire, je ne choisirais certainement pas des matières aussi sérieuses & aussi contraires au goût général ; mais je n'ambitionne que l'avantage de parler raison." (extrait de la Préface)

Il serait long et fastidieux de revenir en détail sur chacun des chapitres. Disons rapidement qu'il y en a de bien plus intéressants que d'autres, certains assez déroutants même, comme celui sur les Apparitions et la Résurrection. Évidemment Dieu est toujours présent, selon Caracciolli qui suit les préceptes de l’Église de Rome, la mort n'est-elle pas l'union définitive de notre âme avec Dieu ? Sans être ni théologien ni expert es religions, je dois pourtant avouer qu'à la lecture de plusieurs passages de ce livre, je sens comme un certain "dérapage contrôlé" de la part de l'auteur sur certains points en rapport avec la foi. En venant même à me dire que si ce dernier n'avait pas été proche du Saint-Siège, ami d'éminentes personnalités de l’Église de son temps, cet ouvrage aurait sans doute été mis à l'index rapidement ! Au lieu de cela cet ouvrage fut réimprimé de nombreuses fois en peu d'années (allez comprendre...).

Je vais terminer en vous livrant un passage de la sorte du chapitre consacré à la Résurrection (sujet O combien volage... planant même), voici :

"L'opinion d'ailleurs qui suppose les planètes habitées par les hommes ressucités, trouve un nouveau motif de crédibilité dans sa spiritualité des corps qui seront alors pénétrants comme l'esprit. Il faudra sans doute des espaces ou nous puissions faire usage de nos nouvelles facultés, &, puisque nous les trouvons dans les Cieux, pourquoi en supposer d'imaginaires, & ne pas croire que nous y serons placés ? Ajoutons des Livres très-orthodoxes, & approuvés du Saint Siège, ont soutenu d'après l'Apocalypse, qui parait l'insinuer, que la terre ne périrait point, & que ce sentiment est aujourd'hui adopté par plusieurs théologiens. Peut-être Dieu fixera-t-il, au Jugement dernier, les astres qui sont roulants, en les dégageant de nuages, & en leur laissant à chacun leur même degré de lumière & de chaleur. Mais c'est ici que l'esprit humain doit s'arrêter, & confesser que les voies de l’Éternel sont un abyme impénétrable." (pp. 106-107).

Un livre passionnant donc, que je conseille à tous les insomniaques post-soixante-huitards ! Âmes sensibles s'abstenir. Il est désormais en bonne place dans le tiroir du haut de ma table de nuit, comme je l'ai dis, et le texte étant d'une portée si étendue et traitant d'un sujet si grave et si primordial, qu'il semble bien qu'il puisse tenir sa place un bon moment avant que je n'aie épuisé tous ses enseignements.


Ah ! J'allais oublier. Ce qui m'a fait acheter ce petit livre de pas grand chose que tout le monde a négligé au point que je l'ai eu pour le prix d'un fast food (so fast ! not so good !), c'est cette jolie petite couverture en papier dominoté que j'affectionne tant. Un décor original pour un volume broché, dans son jus, recouvert à l'époque (1765) de ce charmant papier à décor presque Art Nouveau avant la lettre. Je vous laisse admirer. Le volume est par ailleurs d'une fraîcheur étonnante, le papier épais est bien blanc (ça c'est pour Textor), les marges sont grandes (ça c'est pour Textor), le texte est bien imprimé (ça c'est pour Textor) et la mise en page est agréable (ça c'est pour Textor). Un vrai plaisir à la lecture ! (ça c'est pour moi).


J'allais oublier (aussi), ce petit volume a appartenu à une certaine Mademoiselle de Dolloy, avec sa signature autographe sur le titre. Je sens encore son parfum...

Bonne soirée,
Bertrand Bibliomane moderne

samedi 21 janvier 2012

Fiche de libraire : Traité du fouet, et de ses effets sur le physique de l'amour, ou aphrodisiaque externe (1788).


Ah ! La belle époque !!
(illustration qui n'a rien à voir avec le livre, mais de circonstance)


Au départ mon idée était de vous poser cette simple question : pour vous qu'est-ce que c'est que d'être un bibliophile heureux ? Et puis dans la journée mon état d''esprit a évolué, alors voilà. On en arrive là où on est. Peut-être aurais-je pu intituler ce billet : Qu'est-ce que c'est pour vous un ouvrage d'une grande indépendance d'esprit ? Voilà une bonne question ! Je vous laisse y répondre. Pour le moment préoccupons-nous de faire bonne place à cette bonne fiche de libraire libellée en francs (ça faisait moins peur...) et illustrée par la seule page de titre, aussi éloquente qu'élégante (les anglais nous envient nos pages de titre...)


Traité du fouet, et de ses effets sur le physique de l'amour, ou aphrodisiaque externe. Ouvrage médico-philosophique, suivi d'une dissertation sur tous les moyens capables d'exciter aux plaisirs de l'amour. Par M. D**** médecin (encore un...). Sous cette initiale se cache un dénommé François-Amédée Doppet.

Illustration en couleurs par Henri Caruchet
(illustration qui n'a rien à voir avec le livre, mais de circonstance)


Mais lisons plutôt la fiche.

1 volume de format in-18 de I-X, 11-109 pages, relié demi-maroquin à coins, dos à nerfs orné et doré, tête dorée, non rogné. Sans lieu, 1788. Prix affiché 3000 francs (milieu des années 90).

Ouvrage d'une grande indépendance d'esprit (on le serait à moins...) traitant des effets bénéfiques du fouet sur l'érotisme. Il fut rédigé par François-Amédée Doppet, médecin et littérateur français, général en chef des armées de la République (on sait maintenant pourquoi la République en est là où elle en est...), plus connu pour sa bravoure que pour sa science militaire.

L'ouvrage est divisé en cinq parties : Du fouet et de ses effets sur le physique de l'amour. - Des causes par lesquelles les flagellations excitent à l'amour. - De quelques erreurs qu'il serait utile de détruire, principalement dans les couvents (quand les militaires se mettent à parler des couvents j'avoue que cela me fait toujours un peu peur...). - De la nécessité de changer les peines qu'on inflige à l'enfance et à la jeunesse. - Dissertation sur les remèdes capables d'exciter aux plaisir de Vénus.

On note également quelques passages de qualité contre la religion : "Les moines et les abbés ont la fureur de fouetter ; les cris, les pleurs d'un innocent ne les attendrissent point, la jouissance de voir un beau postérieur l'emporte sur la pitié."

Bel exemplaire !

Tout un programme. Je ne vais pas m'étendre sur le déroulé de ma soirée mais il est possible que j'expérimente quelques unes des recettes méchamment exposées dans ce livret, comment dire, sauvagement rare et pour bibliophile obéissant.

Livre presque moderne... même sujet... les choses ne changent guère vous dis-je !
(illustration qui n'a rien à voir avec le livre, mais de circonstance)


Sinon, ne vous inquiétez pas du nombre de messages publiés sur ce blog, il restera à l'étiage, aucune crainte là-dessus, dites-vous simplement que lorsque je me fais un peu attendre, je suis en compagnie d'Octave Uzanne, parti en voyage pourrait-on dire, un voyage fort agréable dont on revient toujours difficilement. Mais rassurez-vous, j'essaye de voyager utile !

Bonne soirée,
Bertrand Bibliomane moderne

mercredi 18 janvier 2012

Un livre japonais entièrement illustré en couleurs ou peut-on en bibliophilie aimer ce que l'on ne comprend pas ?



Il m'arrive parfois de faire quelque acquisition, comment dirais-je, pour le moins surprenante. Voici la dernière en date. C'est un volume cousu à la japonaise sous couverture orange avec le titre dans un cartouche vertical. Quelques écritures à l'encre barbouillées sur les plats de la couverture. C'est un livre japonais. De quand date-t-il ? C'est déjà là un premier obstacle à soulever pour lequel mon incompétence n'a d'égal que mon admiration pour l'art japonais qu'on y découvre à chaque page. En effet, ce mince volume de format 22,5 x 15,5 cm est composé de 56 faces imprimés en couleurs sans compter un feuillet de texte imprimé sur les deux faces et qui introduit l'ouvrage. Les livres japonais se lisent par la fin si l'on considère nos usages occidentaux. En plus, à la fin de l'ouvrage, on trouve un petit morceau de papier blanc sur lequel ont été imprimés des textes en caractères de tailles différentes (voir photo).




Le contenu maintenant. Chaque page est remplie de plusieurs motifs la plupart du temps répétés. On y trouve à la suite les unes des autres des vues d'oiseaux dans toutes les positions possibles, des tortues, des personnages, sumo, geisha, des femmes habillées dans diverses tenues, des paysages, etc. Deux couleurs sont utilisées, le rose et le bleu ciel, en plus du noir des dessins imprimés. Je n'arrive pas à déterminer mais il semble que les couleurs ont été aussi imprimées. Que peut bien vouloir signifier cet ouvrage d'une époque indéterminée et dont le sens m'échappe ?




Est-ce un manuel de l'art du dessin japonais qui montre comment dessiner "à la japonaise" les différents éléments de l'iconographie de ce pays ? Un spécialiste es livres nippons saura sans aucun doute nous en dire plus.




Je vous laisse en compagnie de cet belles illustrations.

Bonne journée,
Bertrand Bibliomane moderne

lundi 16 janvier 2012

Un dessin à la mine de plomb par Paul Gavarni (1804-1866) : le mendiant ?



Je viens d'acquérir le dessin original de Paul Gavarni que vous pouvez voir ci-dessus. C'est un dessin à la mine de plomb qui représente un homme âgé, cheveux longs, barbe fournie, et qui tend devant lui une casquette comme pour faire l'aumône. Cet homme est-il un mendiant ? Le regard baissé et perdu dans une sorte de soumission au destin.


Ce dessin mesure 18 x 14,5 cm. Ce dessin présente quelques petits défauts d'usage. Apparemment il aurait été déniché dans une brocante par la personne qui me l'a cédé. Il a visiblement été un temps collé sur un support, ce qui a occasionné quelques dégâts au verso du papier. Néanmoins l'ensemble reste en bon état et d'une belle qualité. Il est signé en bas à droite Gavarni. Il n'est pas daté. Je n'ai pas encore retrouvé ce sujet dans l’œuvre gravée de l'artiste.

Je suis bien évidemment preneur de tout renseignement au sujet de ce joli dessin.

Bonne semaine,
Bertrand Bibliomane moderne

vendredi 13 janvier 2012

Les ventes aux enchères à l'Hôtel Drouot à Paris : la crise or not la crise ? Petite rétrospective des Bilans 2008-2011.




Le Site de l'Hôtel Drouot vient de m'envoyer par mail le Bilan 2011 des activités de cette incontournable place internationale du marché de l'art. Évidemment, ces chiffres concernent toutes les oeuvres d'art et les livres rares et manuscrits ne comptent probablement que pour un faible pourcentage de ce chiffre d'affaires total atteignant pour l'année écoulée 2011 : 482 millions d'euros. Remarquez bien que ce chiffre peut paraître dérisoire quand on sait que le coût du dernier G20 organisé à Cannes aura coûté au contribuable français la modeste somme de près de 80 millions d'euros.


"(...) un G20 coûte globalement autour de 80 millions d'euros." déclarait le maire de la ville de Cannes le 12 novembre 2010. Ah ? Bon bah allons-y alors !

Je vous propose donc de voir en images-texte issus du site accessible à tous (non payant) de l'Hôtel Drouot, les chiffres des bilans des années 2008 à 2011.



BILAN 2011

Avec un produit vendu de plus de 482 millions d’euros en 2011, en progression de 9,2 %, DROUOT démontre la pertinence de son modèle unique, au cœur du marché de l’art. Avec 254 Enchères supérieures à 150 000 €, dont 13 millionnaires et de nombreux records mondiaux et français, l’année 2011 a confirmé une fois encore que c’est à Drouot que les plus beaux objets rencontrent leur public

« En progression de 9,2 % avec un produit vendu de plus de 482 millions d’euros en 2011, Drouot confirme le dynamisme d’une place incontournable. Ce résultat témoigne d’une bonne résistance du marché de l’art dans un contexte économique difficile, particulièrement au second semestre, et illustre la pertinence du modèle Drouot.

Modèle unique avec 74 sociétés de ventes volontaires et le savoir-faire de 2 000 professionnels dédiés à la vente aux enchères, Drouot enchaîne les records : 13 enchères millionnaires et 24 records mondiaux en 2011. Ouvert à toutes les envies et à toutes les curiosités, Drouot, qui concentre le plus grand nombre d’opérateurs au monde, s’illustre aussi par la large gamme des objets proposés avec passion et professionnalisme aux différents publics, grands collectionneurs, amateurs ou néophytes, qui trouvent à Drouot un accès incomparable au monde de l’art.

Cette année, les opérateurs de Drouot ont été choisis pour disperser de grandes collections dans les spécialités les plus emblématiques du marché de l’art, mais aussi pour révéler des goûts plus atypiques. Ces ventes prestigieuses ont notamment permis de mettre en lumière la passion pour les pièces classiques de Paul-Louis Weiller, figure éminente et éclairée de son temps, les choix très sélectifs d’orfèvrerie et de céramiques européennes d’Édouard Cochet, les goûts plus modernes de Rena et Jean-Louis Dumas ou de Léon Saltiel, la superbe collection d’art précolombien de H. Law. C’est également à Drouot que des collections ou successions plus spécialisées ont été dispersées : celle de Kimiyo Foujita, dernière épouse de l’artiste, le rare ensemble consacré à Sacha Guitry par André Bernard ou la fabuleuse collection d’art forain de Fabienne et François Marchal.

Drouot s’attache à répondre au besoin d’instantanéité de l’époque et à l’exigence d’un public international par le développement de ses services numériques aux travers de ses deux plates-formes, drouot.com et gazette-drouot.com. Ces sites ont connu en 2011 une croissance particulièrement significative : plus 50 % de fréquentation sur drouot.com (305 000 visites par mois) et plus 23 % pour gazette-drouot.com (213 000 visites mensuelles). Drouot Live et Drouot Online ont plus que triplé leur fréquentation et représentent plus de 2 millions d’euros d’adjudications. L’édition numérique de la Gazette internationale initiée en mars 2011 conquiert un lectorat toujours plus diversifié (25 000 visites pour la neuvième édition).

L’ambition de Drouot, qui s’est pleinement illustrée en 2011, se renouvellera en 2012 par la poursuite du réaménagement de son lieu de vente et un développement des services proposés in situ et en mode multimédia. La marque Drouot offrira ainsi à ses clients un accès toujours plus privilégié à l’art et aux enchères.»

Georges DELETTREZ, Président de DROUOT Patrimoine


Alors ? La crise or not la crise ?

Bonne journée,
Bertrand Bibliomane moderne

Fiche de libraire : Histoire amoureuse des Gaules de Bussy-Rabutin. Edition dite à la croix de Malte [1665].


Voici un livre qu'il me plairait de dénicher en belle condition, mais à ce jour, ce n'est hélas pas le cas. Les beaux exemplaires sont rares et encore plus en condition d'époque. Je rêve de rencontrer un exemplaire de ce livre dans son "très pur vélin du temps" ... Mais voilà, il faudra patienter.


En attendant, voici la très bonne fiche faite par un libraire parisien à propos de cet ouvrage. Comme il l'indique, bien que cette édition n'ait pas de date et que son histoire éditoriale recèle encore nombre de mystères, les bibliographes modernes s'accordent à penser qu'il s'agit bien là de la première édition du célèbre "pamphlet gaulois" dirigé contre la cour de Louis XIV et ses amours de jeunesse quelque peu dissolus.

C'est un modeste volume in-16 de 259 pages. La page de titre est ornée pour seul décor d'une petite croix de Malte avec l'adresse "A LIÈGE."

Je ne vais pas revenir sur Bussy-Rabutin, gentilhomme bourguignon, à qui la verve satirique a fait perdre la fortune. Ce petit livre qui peut paraître insignifiant lui valut 17 années d'exil dans son château de Bussy-le-Grand près d'Alise-Sainte-Reine, à quelques kilomètres seulement de l'humble demeure de votre serviteur Bibliomane. J'aime aller une à deux fois par an dans ce château d'exil ressentir encore un peu des effluves surannées auxquelles peuvent conduire la trahison d'une maîtresse. Pulchra enim sunt ubera quae paululum supereminent et tument modice, quasi repressa, sed non depressa; leniter restricta, non fluitantia licenter.

25.000 francs c'est le prix demandé par ce libraire pour ce bel exemplaire relié au XIXe siècle par Muller, l'habile successeur de Thouvenin.

Mais peut-être avez-vous la chance de posséder un exemplaire de ce livre rare.

Bonne journée,
Bertrand Bibliomane moderne

mercredi 11 janvier 2012

Une lectrice 1900 qui passait par là ... oui je sais ... ou le bon prétexte pour vous faire lire Comment l'esprit vient aux filles.


Photographie ancienne, tirage argentique, vers 1900.
Format 173 x 125 mm
Aucune mention. Probablement une photographie d'amateur.
Collection privée.

Que peut-elle bien lire ?

Cette pose me fait penser au Conte de La Fontaine Comment l'esprit vient aux filles (1674) que je ne me prive pas de donner ici intégralement.

Bonne lecture !

Il est un jeu divertissant sur tous,
Jeu dont l’ardeur souvent se renouvelle ;
Ce qui m’en plaît, c’est que tant de cervelle
N’y fait besoin, et ne sert de deux clous.
Or, devinez comment ce jeu s’appelle.
Vous y jouez, comme aussi faisons-nous :
Il divertit et la laide et la belle :
Soit jour, soit nuit, à toute heure il est doux ;
Car on y voit assez clair sans chandelle.
Or, devinez comment ce jeu s’appelle.
Le beau du jeu n’est connu de l’époux ;
C’est chez l’amant que ce plaisir excelle :
De regardants, pour y juger des coups,
Il n’en faut point, jamais on n’y querelle.
Or devinez comment ce jeu s’appelle.
Qu’importe-t-il ? Sans s’arrêter au nom,
Ni badiner là-dessus davantage,
Je vais encor vous en dire un usage,
Il fait venir l’esprit et la raison.
Nous le voyons en mainte bestiole.
Avant que Lise allât en cette école,
Lise n’était qu’un misérable oison.
Coudre et filer, c’était son exercice ;
Non pas le sien, mais celui de ses doigts ;
Car que l’esprit eût part à cet office,
Ne le croyez ; il n’était nuls emplois
Où Lise pût avoir l’âme occupée :
Lise songeait autant que sa poupée.
Cent fois le jour sa mère lui disait :
Va-t’en chercher de l’esprit, malheureuse.
La pauvre fille aussitôt s’en allait
Chez les voisins, affligée et honteuse,
Leur demandant où se vendait l’esprit.
On en riait ; à la fin l’on lui dit :
Allez trouver père Bonaventure,
Car il en a bonne provision.
Incontinent la jeune créature
S’en va le voir, non sans confusion :
Elle craignait que ce ne fût dommage
De détourner ainsi tel personnage.
Me voudrait-il faire de tels présents,
À moi qui n’ai que quatorze ou quinze ans ?
Vaux-je cela ? disait en soi la belle.
Son innocence augmentait ses appas :
Amour n’avait à son croc de pucelle
Dont il crût faire un aussi bon repas.
Mon Révérend, dit-elle au béat homme,
Je viens vous voir ; des personnes m’ont dit
Qu’en ce couvent on vendait de l’esprit :
Votre plaisir serait-il qu’à crédit
J’en pusse avoir ? non pas pour grosse somme ;
À gros achat mon trésor ne suffit ;
Je reviendrai, s’il m’en faut davantage ;
Et cependant prenez ceci pour gage.
À ce discours, je ne sais quel anneau,
Qu’elle tirait de son doigt avec peine,
Ne venant point, le père dit : Tout beau ;
Nous pourvoirons à ce qui vous amène,
Sans exiger nul salaire de vous :
Il est marchande et marchande, entre nous :
À l’une on vend ce qu’à l’autre l’on donne.
Entrez ici, suivez-moi hardiment ;
Nul ne nous voit, aucun ne nous entend :
Tous sont au chœur ; le portier est personne
Entièrement à ma dévotion.
Et ces murs ont de la discrétion.
Elle le suit ; ils vont à sa cellule.
Mon Révérend la jette sur un lit,
Veut la baiser ; la pauvrette recule
Un peu la tête ; et l’innocente dit :
Quoi c’est ainsi qu’on donne de l’esprit ?
— Et vraiment oui, repart Sa Révérence ;
Puis il lui met la main sur le téton.
Encore ainsi ? — Vraiment oui ; comment donc ?
La belle prend le tout en patience :
Il suit sa pointe, et d’encor en encor
Toujours l’esprit s’insinue et s’avance,
Tant et si bien qu’il arrive à bon port.
Lise riait du succès de la chose.
Bonaventure à six moments de là
Donne d’esprit une seconde dose.
Ce ne fut tout, une autre succéda ;
La charité du beau père était grande.
Eh bien, dit-il, que vous semble du jeu ?
— À nous venir l’esprit tarde bien peu,
Reprit la belle ; et puis elle demande :
Mais s’il s’en va ? — S’il s’en va ? nous verrons ;
D’autres secrets se mettent en usage.
— N’en cherchez point, dit Lise, davantage ;
De celui-ci nous nous contenterons.
— Soit fait, dit-il, nous recommencerons
Au pis aller, tant et tant qu’il suffise.
Le pis aller sembla le mieux à Lise.
Le secret même encor se répéta
Par le pater ; il aimait cette danse.
Lise lui fait une humble révérence,
Et s’en retourne en songeant à cela.
Lise songer ! quoi ? déjà Lise songe !
Elle fait plus, elle cherche un mensonge,
Se doutant bien qu’on lui demanderait,
Sans y manquer, d’où ce retard venait.
Deux jours après, sa compagne Nanette
S’en vient la voir : pendant leur entretien
Lise rêvait : Nanette comprit bien,
Comme elle était clairvoyante et finette,
Que Lise alors ne rêvait pas pour rien.
Elle fait tant, tourne tant son amie,
Que celle-ci lui déclare le tout :
L’autre n’était à l’ouïr endormie.
Sans rien cacher, Lise de bout en bout,
De point en point, lui conte le mystère,
Dimensions de l’esprit du beau père,
Et les encore, enfin tout le phébé.
Mais vous, dit-elle, apprenez-nous de grâce
Quand et par qui l’esprit vous fut donné.
Anne reprit : Puisqu’il faut que je fasse
Un libre aveu, c’est votre frère Alain
Qui m’a donné de l’esprit un matin.
— Mon frère Alain ! Alain ! s’écria Lise,
Alain mon frère ! ah ! je suis bien surprise ;
Il n’en a point, comme en donnerait-il ?
— Sotte, dit l’autre, hélas ! tu n’en sais guère :
Apprends de moi que pour pareille affaire
Il n’est besoin que l’on soit si subtil.
Ne me crois-tu ? sache-le de ta mère ;
Elle est experte au fait dont il s’agit ;
Si tu ne veux, demande au voisinage ;
Sur ce point-là l’on t’aura bientôt dit :
Vivent les sots pour donner de l’esprit !
Lise s’en tint à ce seul témoignage,
Et ne crut pas devoir parler de rien.
Vous voyez donc que je disais fort bien
Quand je disais que ce jeu-là rend sage.

Jean de La Fontaine, Contes et nouvelles, 1674

Bertrand Bibliomane moderne

dimanche 8 janvier 2012

Les premières éditions des Caractères de La Bruyère avec la clef manuscrite (1688-1696).



Quand on pense littérature de la fin du XVIIe siècle on pense forcément aux premières éditions des Caractères de La Bruyère. Je dirais même qu'il y a sans doute assez peu d'ouvrages aussi passionnant à étudier que celui-ci pour le bibliophile un tant soit peu curieux. Il faut dire que les Caractères ne comptent pas moins de neuf éditions officielles, revues, corrigées et augmentées par l'auteur entre 1688 et 1696, et ce sans compter les nombreuses contrefaçons et impressions clandestines de province ou de Hollande. Un bibliophile qui souhaiterait réunir l'ensemble de toutes ces éditions depuis la première un modeste volume de 1688 à la dernière publiée seulement quelques jours après le décès de La Bruyère en 1696 serait un bibliophile courageux et opiniâtre et ceux d'autant plus s'il est exigeant et souhaite des exemplaires en belle condition d'époque. Si la première édition n'est pas facile à trouver en belle reliure de l'époque (je ne parle que de reliures en veau car les exemplaires en maroquin d'époque peuvent se compter sur les doigts d'une main ou guère plus), la préférence des amateurs va le plus souvent à la dernière édition revue, la neuvième, celle de 1696, en 1 fort volume grand in-12. C'est pour ainsi dire l'édition définitive, la meilleure, celle que laissa La Bruyère à la postérité. Cependant, toutes les éditions sont intéressantes, la plupart augmentées de plusieurs dizaines de nouveaux caractères à chaque fois, voire largement modifiées. L'histoire de toutes ces éditions a été retracée admirablement dans les moindres détails par plusieurs bibliographes dont MM. Servois et Rochebilière à la fin du XIXe siècle. Ainsi je vous invite, si vous souhaitez en savoir plus sur les différents tirages, états et autres particularités de chacune de ces éditions primitives des Caractères, à consulter la Bibliographie des éditions originales d'auteurs français composant la bibliothèque de feu M. A. Rochebilière par A. Claudin, Paris, Claudin, 1882, pp. 318 à 348.

Mais ce qui nous intéresse ce soir, c'est une particularité toute autre, une particularité qui ne semble pas liée au travail d'imprimeur ni à celui d'éditeur (M. Michallet pour toutes les premières éditions de 1688 à 1696). Cette particularité c'est la présence dans certains exemplaires d'une clef manuscrite assez étendue voire très étendue sur les marges.

En effet, pour plusieurs exemplaires, nous avons pu constater la présence de cette clef marginale recopiée à l'époque même. Je prendrai pour exemplaire un spécimen de l'édition de 1692, septième édition revue et corrigée en 679 pages chiffrées (sans compter les pages préliminaires ni la table à la fin). Les photos que vous pourrez voir ci-dessous sont issues de cet exemplaire. J'ai dénombré pas moins de 232 notes marginales, certaines ne donnant qu'un nom et d'autres plus étendues donnant quelques détails. Ces notes sont d'une belle écriture bien lisible de l'époque. La question qu'on se pose tout de suite est la suivante : où le lecteur annotateur a-t-il récupéré cette clef ? une clef aussi complète ? J'ai également sous les yeux un exemplaire de la neuvième et dernière édition donnée par La Bruyère en 1696 où je ne compte que 102 annotations marginales. L'écriture est également l'écriture de l'époque et ces notes ont été prises à n'en pas douter très peu de temps après l'impression de l'ouvrage.




page 424


page 617


page 336

Alors ? D'où proviennent ces clefs ? S'il existe une clef complète pourquoi un nombre variable d'annotations marginales selon les éditions et les exemplaires ? L'édition de 1696 qui contient un plus grand nombre de caractères que la septième de 1692 devrait avoir un clef également plus importante. Ce qui n'est pas le cas ici. Ces exemplaires complétés d'une clef manuscrite sont-ils l’œuvre de lecteurs studieux qui savaient reconnaître dans le texte crypté de La Bruyère leurs infortunés congénères malmenés par le satiriste ? Se référaient-ils à une clef qui circulait en manuscrit dans les milieux lettrés de l'époque ? A vrai dire je ne sais pas et ni Rochebilière ni Servois, me semble-t-il, ne donnent une réponse satisfaisante à cette question.

Possédez-vous un ou plusieurs exemplaires avec cette clef manuscrite ? Combien comptez-vous de "notes marginales" et pour quelle édition ? Vos réponses m'intéressent et intéresseront peut-être aussi les lecteurs du Bibliomane moderne.

Dans l'espoir de vous lire,

Amitiés bibliophiles,
Bertrand Bibliomane moderne

vendredi 6 janvier 2012

Acte de naissance : un blog entièrement consacré à Octave Uzanne, homme de lettres et bibliophile. Sa vie publique, sa vie privée.



Le principe est assez simple : vous cliquez sur la photographie !

Bonne soirée,
Bertrand Bibliomane moderne

Le Bibliomane moderne vous interroge : une mystérieuse signature de relieur d'art de la période Art Déco (1928).


Monogramme signature d'un relieur de l'époque Art Déco (vers 1928).
Signature du relieur poussée sur un petit carré de maroquin 10 x 10 mm.
Fond or.


Avez-vous déjà rencontré cette signature de relieur ? Cet habile relieur, praticien de l'époque Art Déco, a donné cette reliure typique de son époque (maroquin noir à bandes avec fine bandes de maroquin sur les plats de chaque côté d'un joli papier décoré main, dos long orné d'une bande de maroquin mosaïquée sur toute la longueur, jeu de 7 filets dorés horizontaux en haut et en bas du dos, auteur et titre doré). Reliure parfaitement exécutée. Tranche de tête dorée.

La signature du relieur pourrait bien représenter les lettres OBLC ? Ce sont ces lettres en tous cas, qu'il faut peut-être lire dans un autre ordre.

Reliure Art Déco maroquin noir à bandes signée OBLC.
Sur Les deux Rimbaud par J.-M. Carré, Editions des Cahiers Libres, 1928.
In-8 carré. 1/30 ex. de tête sur vergé Hollande Pannehoek (n°V).

Qu'en pensez-vous ?

Ce qui est certain c'est que je vais m'empresser de dévorer ce beau livre dès ce soir.

Bonne journée,
Bertrand Bibliomane moderne

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