lundi 25 janvier 2010

De la bibliophilie moderne ou De la théorie de l’homme pressé, conte moderne.



© copyright Claude BOUR


Quelque évènement du moment m'aura entrainé sur les pas d'un conteur... voici ce qu'il a dit :

Il était une fois, dans un monde moderne où tout allait très vite, des hommes de bonne volonté qui pensaient qu’il était bien de suivre le mouvement. Ils allaient donc très vite.

L’amoureux des livres, ce personnage assez fantasque, s’accommodait assez mal de cet état de fait, lui qui avait besoin de prendre son temps pour aimer les livres.


Pourtant le monde allait ainsi et tout le monde semblait acquiescer en silence à cette frénésie ambiante. Le Bibliophile n’était pas serein.

Tous les jours ou presque, des tonnes de livres étaient déversées sur les tables recouvertes de feutre rouge de la Grand’Salle. Les marchands, pour répondre comme un écho à cet affolement général organisé, se pressaient. Les marchands achetaient, achetaient et achetaient encore. Les marchands vendaient, vendaient et vendaient encore.

Les Bibliophiles ne savaient plus où jeter leurs yeux avides de belles choses. Le monde s’enivrait.
Et puis dans cet affolement général, au milieu des hécatombes, parmi les nuées livresques, il y avait désormais le chaos. Quelques uns essayaient, dans ce brouhaha, de rester sages et vigilants, d’autres au contraire, suivant le tourbillon, se perdaient définitivement dans le bruit. Le livre était oublié, piétiné, saccagé, détruit.

O ! non pas qu’il le fut vraiment ! Mais ce qui lui arriva fut pire encore.


De ce beau livre en maroquin plein signé d’une belle main d’un artisan des plus habiles, celui-là avait oublié de signaler un envoi manuscrit d’un hôte d’importance, une histoire s’effaçait. De cet autre, relié en simple veau, cet ex libris qui l’honorait tant n’avait pas été vu. De cet autre encore, relié à la fin du XIXe siècle par Chambolle-Duru, avec deux beaux ex libris bien signalés, c’est un dessin original délicatement peint à l’aquarelle et à la gouache sur le faux-titre qui avait été omis.


L’histoire des livres s’efface entre les mains des hommes de peu de foi disait le Prince de cette contrée ou tout allait décidément trop vite.

Comme ces belles illustrations des livres de contes s’effaçaient si les enfants n’y croyaient plus.

La mémoire des beaux livres s’effaçait dans la course infinie des hommes.


Mais il fallait aller vite, très vite, encore plus vite. Les livres, à peine passés d’une main, passaient dans une autre, on en oubliait presque l’essentiel. Le livre n’était plus devenu qu’une marchandise, le libraire un marchand.

Qui se souvient du temps où les livres dormaient des années sur les rayonnages des libraires indolents. Personne ne courait en ces temps reculés. Personne ne pleurait ces livres oubliés non plus.

Dans ce pays magique, où tout allait vite, l'homme ne suivait plus. Et bien d'autres choses encore que les livres lui échappaient désormais...

B.

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